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Michaël Cohen : "Le cinéma m'a permis de voir un ailleurs."

L'amour est le fil rouge de son œuvre, tissé avec une précision naturaliste qui laisse transparaître une vérité brute, sans fard ni artifices. Michael Cohen a signé avec son nouveau livre, L'attraction du désordre, l'histoire d'un triangle amoureux imprégnées de vérités humains qui résonnent longtemps après sa lecture. Un roman dynamique, en trois temps, où chaque personnage est peint avec profondeur et chaque page révèle une facette de la condition humaine. Rencontre.

© Aurore Baldy

« Michaël, vous avez publié un nouveau livre aux éditions Anne Carrière, L’attraction du désordre. Comment le film César et Rosalie est devenu le point de départ de votre 3ᵉ roman ?

Ce n’est pas forcément devenu le point de départ. Ce film est en moi depuis longtemps, cette histoire m’a marquée, consciemment ou inconsciemment. Lorsque j’ai commencé à avoir l’idée de mon livre, de cette femme et de ces deux hommes (d’abord rivaux avant de devenir pratiquement inséparables), ça m’a rappelé que la genèse a dû s’infiltrer au fur et à mesure des visionnages de César et Rosalie, que je revois une fois par an. C’est en terminant le livre que j’ai compris à quelle famille appartenait mon histoire.


Comment ces personnages (Clara, Paul et Simon) sont arrivés dans votre esprit ?

La jalousie rétrospective est un sujet que je voulais traiter depuis longtemps. Je l’ai plus ou moins subi, j’en ai aussi entendu parler autour de moi, des histoires dont le passé pourrit le présent, sans qu’il n’est rien fait de mal. Ça devient parfois plus qu’un sujet de discussion, un sujet de discorde et peut-être même de rupture. J’ai toujours pensé que les gens qui nous ont aimé et qu’on a aimé avant, nous ont amenés à la personne avec laquelle on partage notre vie à ce moment-là. Mais l'homme ou la femme du passé est souvent vu comme un ennemi potentiel, même si elle est très loin ou n’existe plus. Au début, ça se passe bien, puis on se remet en question, on se compare, on se sent moins beau, moins intelligent, moins drôle, moins tout que l’autre qu’on fantasme. J’imaginais cette situation où un homme à bout de lui-même, fatigué de cette jalousie d’un homme qu’il ne connaît pas, décide d’aller le rencontrer. Contre toute attente, il va y avoir un coup de foudre amical réciproque. Dans ce trio, ils ont tous besoin l’un de l’autre. Il y a le principe du sauveur, du bourreau et de la victime. Ils sont ces trois choses-là à la fois, à des moments différents de leur vie.


Vous abordez toutes les facettes de l’amour avec un côté naturaliste. Comment arrivez-vous à retranscrire cette vérité ?

Je me brûle les ailes. Je vis à peu près tout ce que j’écris, mais cela ne veut pas dire que tout est vrai. Tout ce que j’écris est ressenti, d’une manière ou d’une autre, par la vue, l’ouïe, le toucher, l’odeur ou le goût. J’écris par les cinq sens.


Simon gère un club à Paris. Vous connaissez bien le milieu de la nuit ?

Oui. D’ailleurs, j’entends dire que le gouvernement va peut-être créer des couvre-feux pour les mineurs. Les couvres-feux c'est pour les guerres ou les pandémies... J’ai commencé à sortir en boite de nuit à l’âge de quinze ans, au Palace par exemple, où j’avais la chance d’avoir un oncle barman, donc je pouvais entrer sans trop de difficultés. Je n’ai jamais fait de conneries, pris de drogue ou bu jusqu’à être saoul, jamais. La nuit m’enveloppe, me protège, me rassure. J’ai rencontré beaucoup de gens qui, la nuit, se permettaient d’être eux-mêmes, d’être profonds, à l’écoute. J’ai voulu écrire un personnage loin de la caricature. Simon est bienveillant, il est là comme un patriarche dans cette famille qu’est le club. J’ai voulu rendre hommage à cette nuit qui m’a beaucoup apporté. Des amitiés et des amours très forts se sont créés, parfois même des projets de travail dans mon métier de comédien où l’on se prend à discuter, à rêver. J’avais aussi envie de montrer du doigt tous ces employés, souvent décriés et marginalisés. Il y a une forme de sacrifice, c’est très compliqué d’avoir une vie dite normale quand on travaille la nuit. On fait ça par passion, comme dans mon métier. Je suis comédien depuis que j’ai quinze ans. C’est très dur parfois, on s’en prend plein la tête, on a des doutes, on attend, on est jugé tout le temps. Mais quand on le fait, on sait qu’on est à notre place.


La nuit est aussi le moment où vous écrivez ?

Totalement. Pour moi, il est pratiquement impossible d’écrire le jour. La nuit, personne ne va me déranger, m’appeler, frapper à ma porte. J’aime son silence, son horloge biologique m’ouvre des portes intérieures. Mon vrai plaisir est de commencer à écrire vers 23h, et quand je suis inspiré, que ça sort malgré moi, j’ai le bonheur de voir le jour se lever et de me dire, maintenant, je peux aller me coucher.

Dans votre livre, vous écrivez par rapport à l'un de vos personnages qu'« il réalisa ce soir-là que le luxe ultime de l’existence n’était ni le pouvoir, ni la maison de campagne, ni la belle voiture toutes options. » Pour vous, Michael, le luxe ultime, c’est…

Une forme de liberté, d’avoir la possibilité de se dégager parfois de toute pression sociale, économique et familiale. Ça ne veut pas dire être égoïste. Plus on se sent libre, plus on se sent léger et plus on fait du bien aux autres. Le luxe ultime, c'est de pouvoir lâcher prise et de ne pas être parasité, embrumé, par tout ce qu’on essaie de nous mettre sur le dos, tout le temps.


L’amour est un thème récurrent dans votre œuvre, déjà présent dans Ça commence par la fin et Un livre, vos précédents romans. Michaël, qu’est-ce qui vous attire plus particulièrement dans l’exploration de l’amour et des relations humaines dans vos écrits ?

Au-delà de l’amour, c’est le rapport à l’autre dans un couple, d’amoureux ou d’amis, qui m’intéresse. C’est une source d’inspiration et de transmission intarissable. On aura toujours besoin d’écrire ou de lire là-dessus. On a beau être dans des millénaires de relations de couple, j’ai l’impression qu’on recommence toujours à zéro, avec aussi peu de savoir-faire, malgré les expériences, les échecs, les réussites. Tout est à redéfinir, à chaque fois. Et puis surtout, j’essaie dans mes livres ou mes pièces, à comprendre et à transmettre ce sentiment qu’il faut déjà s’aimer soi-même, apprendre à se connaître, avant de plonger dans l’autre.


Est-ce que l’écriture est aussi votre façon de laisser une trace, en plus d’être comédien ?

Je ne pense pas à la mort pour l’instant. Certains veulent repousser la mort, moi je tente juste de repousser la pensée de la mort ! En revanche, la transmission, oui. Que ce soit en tant qu’acteur, écrivain, scénariste ou réalisateur, j’ai toujours cette envie de témoigner, sans donner de leçons. Je n’aurais pas forcément envie de donner des cours de théâtre, c’est une grosse responsabilité. L’humanité a besoin qu’on lui transmette du vécu, des ressentis. En plus de divertir, l'art sert aussi à ça. Je fais partie de ces gens qui ont pour mission d’aider les autres à mieux comprendre le monde, et je le dis sans aucune prétention. C’est mon destin. Ça ne veut pas dire que c’est facile. Que je le veuille ou non, je me confronte aux choses, je m’abîme parfois, je vais au bout et parfois, je vais très loin dans l’aventure humaine, jusqu’à en souffrir. Après coup, j’en tire une histoire, un personnage pour pouvoir le transmettre à ceux qui en ont besoin.


On vous a transmis cette passion pour la comédie ?

Je pense être le seul à m’être donné cette envie-là, personne ne m’y a vraiment initié. Mon environnement familial ne me plaisait pas beaucoup et ça m’a peut-être donné envie de m’échapper. J’étais un enfant assez solitaire, timide, gros. Le cinéma m’a permis d’espérer, de voir un ailleurs. Personne de ma famille n’était dans ce métier, je ne savais pas par où il fallait passer. Vers 13, 14 ans, j’ai eu cette révélation : je veux être acteur. J’ai eu la chance de rencontrer une personne qui m'a pris la main pour m'accompagner au Cours Florent. Depuis, ça ne s’est jamais arrêté. Je savais que j’étais à ma place. Mais il n’y a aucune explication cohérente, logique. Encore une fois, c’est une destinée. C’était écrit comme ça. J’ai dû être choisi par je ne sais quel Dieu des artistes pour faire ce métier. Je précise quand même que si c'est le cas, ce Dieu-là ne m’a pas épargné les embûches et les difficultés, et ce n'est pas fini ! (rires).


Quelles images vous reviennent des cours de théâtre ?

C’est un peu brouillon. Au début, j’allais en cours les mercredis et les samedis, ils n'étaient consacrés qu’aux jeunes. Très vite, je séchais les cours scolaires pour le théâtre. J’y allais le matin, le soir, j’arrivais à me faufiler, même si je n’avais pas forcément le droit. J’ai vu sur scène tellement de rires, de pleurs, de cris, de textes magnifiques. Petit à petit, je me suis trouvé, affirmé. Mais il y avait tellement de monde qui souhaitait devenir acteur que j’ai vite compris que personne ne viendrait me chercher, donc j’ai écrit et monté un spectacle au Cours Florent. Il a eu un petit succès. J’ai rencontré des professeurs formidables comme Isabelle Nanty, Francis Huster (il m’a fait jouer au théâtre pour la première fois). Je ne restais pas dans le fond à attendre. Le Cours Florent restera le pilier de ma carrière, là où tout a démarré. Les cours, c’est ce qu’on en fait. Il faut savoir prendre le meilleur et ne pas trop râler sur le pire. Parce qu’il n’y a pas de cours de théâtre magique.


Quel est votre rapport avec la scène ?

C’est là où je me sens le mieux. C’est mon église. La scène, c’est sacré. Mes partenaires et le public le sont aussi. C’est presque de l’ordre du religieux. J’ai encore vécu une expérience magnifique avec Bungalow 21. Chaque soir, j'étais heureux d’y aller. C’est tout le temps une énergie différente, une recherche permanente sur une phrase ou un déplacement. Et je me laisse transporter, j’accepte les imprévus et je joue avec. Le théâtre est un art noble, on se met en danger, même si c’est un danger relatif. Un soir de première, on se demande pourquoi on fait ça, et puis, si on a bien travaillé en amont, on entre sur scène et on oublie ce qu’on s’est dit cinq minutes avant. J’ai joué au théâtre pendant Charlie Hebdo ou les attaques du 7 octobre et même si ça semble complètement dérisoire d’aller sur scène à ces moments-là, on se dit que les gens ont besoin de recevoir de l’amour, d'être dans la communion.


À la page 55 de votre dernier livre, vous écrivez, à propos d’un de vos personnages, que « le trac lui avait donné du talent ». Cette petite boule au ventre avant de monter sur scène, vous l’avez toujours ?

Bien sûr (rires). Mais ça ne m’a jamais paralysé. Ce mélange de trac et d’adrénaline donne l’impression de flotter au-dessus du sol, on ne sait plus où on est. Par moments, on ne sait plus rien, tellement des émotions diverses nous submergent. Je prête à Paul une entrée dans cette boite de nuit identique à celle d'une entrée en scène. Comme au théâtre, ce trac le porte et lui donne du panache pour oser ce qu’il va faire.


Quels sont vos prochains projets ?

J’attends des réponses. Je suis dans l’essence même de mon métier : l’attente. C’est quelque chose que je connais par cœur, dont je ne m’habitue toujours pas, mais avec lequel j’arrive à vivre un petit peu mieux avec le temps. Mes projets futurs sont nombreux et incertains, comme la vie que je mène depuis mes premiers pas sur une scène de théâtre.


Pour conclure cet entretien, auriez-vous une citation fétiche à me délivrer ?

Je ne retiens jamais correctement les citations, alors je vais citer une phrase de mon livre. « On rêve souvent d’une vie bien rangée mais la plus part du temps c’est le désordre qui l’emporte. ». L’important, c’est de s’y retrouver... »

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