« Assieds-toi au banquet de la vie, mais ne t'y accoude pas. » Ce proverbe Grec pourrait être celui de Mylène Jampanoï. Libre comme l'air et très attachée à l'essentielle, Mylène croque la vie à pleine dent. Ses premiers dessins peignent actuellement les murs de la galerie Sobering à Paris dans le cadre de l'exposition Athènes n'est pas en Grèce (avec Marina Mankarios). La capitale s'imprègne de la chaleur d'une artiste Méditerranéenne qui imprime sa singularité dans chacun de ses projets artistiques. En quête de rencontres inoubliables, Mylène aime partager ses souvenirs de cinéma, défendre les scénaristes et parler de l'amitié avec un grand A. Rencontre avec Mylène Jampanoï, vivre et aimer !

« Mylène, quelle a été ta première rencontre avec le cinéma ?
Ma mère était caissière et on ne connaissait personne dans le cinéma. On était loin de s’imaginer qu’un jour, je puisse en faire. J’avais un ami proche qui était acteur à Aix-en-Provence. Il a un casting à Paris et me propose de l’accompagner, je l’attends dans la salle d’attente et la directrice de casting a voulu me voir. J’ai eu le rôle (ce n'était pas le sien) et il ne l’a pas eu ce jour-là.
Enfant, je n’ai pas eu accès au cinéma, ce n’était pas mon éducation. J’ai pris mon indépendance à 14 ans et c’est à cette période que j’ai commencé à lire énormément. J’allais tout le temps dans des salles de cinéma, seule, pour voir les derniers Tarantino ou Frères Dardenne. J’ai eu de grands coups de cœur. Émilie Dequenne était mon actrice préférée après l’avoir vu dans Rosetta. J’aime le cinéma belge et indépendant mais aussi d’autres films comme Monster ou Festen avec cette histoire de règlement de compte en famille le soir de Noël. Ce film m’a percuté. J’ai compris tôt que le cinéma permettait de faire passer des messages qu’on n’arrivait pas ou plus forcément à dire au quotidien.
Qu’as-tu appris avec les premiers cours de comédie ?
Je suis une personne timide et réservée, c’est mon ADN. J’essaie de me désinhiber, de parler en public, d’apprendre à communiquer autrement et pour moi, c’est difficile. C’est un métier que je veux faire mais pour y accéder, ça me demande beaucoup d’efforts. Mais quand on travaille, le théâtre devient une libération. Je conseille à toutes les personnes - même celles qui ne veulent pas faire de cinéma - de faire du théâtre un jour. Ça aide, c’est une vraie rencontre.
Si tu devais continuer l’histoire d’un personnage que tu as incarné, ce serait lequel ?
Je suis quelqu’un de nostalgique. Quand j’étais jeune, je ne me rendais pas compte de la chance que j’avais sur certains tournages, je les vivais intensément. Les projets se succédaient et on oublie un petit peu. La Vallée des Fleurs est un film d’époque que j’ai fait dans l’Himalaya dans des conditions extrêmes, un peu en anglais et un peu en hindi. J’ai adoré mon personnage. Il était libre et ça a défini ma vie. J’étais à cheval dans des montagnes avec des Tibétains. Je me suis beaucoup attachée à cette vie simple que j’ai pu partager avec les nomades et dans ma recherche du bonheur cette idée de simplicité, cette vie d’ascète ne me quitte pas.
Je vais aussi te parler de Martyrs de Pascal Laugier. J’ai adoré faire un film de genre. À l’époque, on m’avait énormément reproché de faire ça. J’étais dans une période où j’avais plus de choix de scénarios qu’aujourd’hui. Dans Martyrs, on me proposait autre chose que ce qu’on voit de moi. Jeune, il y avait l’envie de me proposer des rôles de filles sexy ou un peu sulfureuses. Là, c'est une fille qui retrouve la famille qui l'a martyrisée et contre laquelle elle va se venger.
Dès le début, j’ai eu la chance de pas mal tournée à l’étranger. J’ai pu voyager grâce à des films. On ne se remet pas facilement d’un personnage. On vit une expérience humaine où on est enfermé pendant deux à quatre mois avec une centaine de personnes. On s’attache aux gens. Ce sont des bouts de vie incroyables. Quand ça devient ta formation de rencontrer des gens aux quatre coins du monde, tu as juste envie de faire des rencontres inoubliables. Je cherche cette adrénaline, tout le temps.
Quel est ton défaut dans la vie qui est une qualité pour ton métier ?
En général, les défauts dans la vie sont aussi des défauts au cinéma. Être réservée et pudique, ce sont des défauts catastrophiques. J’admire les gens comme Depardieu qui se lâchent et qui ne réfléchissent plus. Moi, parfois, je vais dans mon coin, je réfléchis trop. Un défaut que j’ai dans la vie… Ah oui, on peut me reprocher de bouger tout le temps. Je suis très indépendante. C’est lié à mon éducation. Je suis disposée à partir...
Tu me parlais de Martyrs, c'est sur ce tournage que tu vas rencontrer pour la première fois Xavier Dolan...
Xavier est un ami. Il a de la noblesse dans tout ce qu’il fait. C’est un garçon hors norme et fidèle. Ma rencontre avec lui ? Sur le tournage de Martyrs, le réalisateur Pascal Laugier est génial mais j’avoue qu’il est dans un excès de virilité constant et avec Xavier ça ne se passe pas très bien.
À ce moment-là, Xavier n’est pas encore très sûr de lui, il est possédé par le talent et la créativité, il est enjoué mais jeune et donc vulnérable… Il n’avait pas 16 ans, ni encore posé ses idées dans ses films… Il paraissait à mes yeux spécial, comme quelqu’un qu’on n’arrivait pas à maîtriser, ni à lire. Je l’ai aimé tout de suite.
Pour en revenir à Martyrs, le réalisateur ne lui parle pas très bien et il me semble que je prends la défense de Xavier. Il est touché par cette démarche. J’étais l’actrice principale et il avait un tout petit rôle où il se faisait tuer au bout de deux scènes. Xavier vient me voir : « Mylène, prends mon numéro, j’ai envie de te sortir au Québec et je vais te faire découvrir des films. »
Je suis au Canada. Je ne connais pas grand monde et un soir, je l’appelle. Il me sort et là, je le découvre. Il est comme je l’ai imaginé, avec l’ambition et l’envie en plus… Je vais chez lui, c’est le bordel, il jette tout par terre, un cafoutch (rires). Mais c’est dans ce petit appartement ou à mon hôtel qu’il m’a montré des chefs-d’œuvre.
J’ai dix ans de plus et j'étais impressionnée par cette maturité et c’est à cette période qu’il me parle du scénario de J’ai tué ma mère, me demande si je peux en parler à des producteurs. Je l’ai lu et proposé à deux producteurs connus à l’époque. Ils trouvent ça nul et quand je leur dis que le gars a seize ans, ils laissent tomber. L’histoire tu la connais. Il va à Cannes et tous les producteurs me rappellent pour le rencontrer. Je réponds : « c’est un peu tard. »
Une très belle amitié ! Mylène, à quel moment la Fémis est entrée dans ta vie ?
Dès que je suis tombée enceinte de mon fils, j’ai perdu des contrats de publicités. J’ai mal vécu cette période. Le monde autour de moi a changé à partir du moment où j’ai décidé de fonder une famille. J’ai dû rembourser des contrats tout simplement parce que mon corps changeait. Je me suis donc remise en question. Je n’avais pas envie d’être une actrice qui attend d’être choisie ni une jolie fille qui ne signe plus de contrat car elle tombe enceinte. Il fallait que je me réinvente.
J'entends qu’on peut passer un concours à la Fémis, ça dure trois mois. Et comme pour le casting, j’accompagne un ami. Il m’incite à prendre le dossier, ça ne coûte rien. Le jour du concours écrit, je me lève avec du retard. Je prends mon scooter, je fonce et j’arrive avec quinze minutes de retard. J’ai juste mon passeport, je le donne et in extremis on m’accepte et me fout au fond de la pièce.
Quand tu commences l’écriture, tu ne peux pas sortir de la salle. Je n’avais pas lu tout ce qu’il y avait dans le dossier. J’avais faim et soif, mais pas grave, c’était ma punition du jour (rires). La Fémis est une école de réseau. J’ai accédé à des gens auxquels je n’avais pas accès parce que je ne faisais pas partie de ce cinéma intellectuel et être diplômée de cette école, a été un vrai déclic. Je me sens enfin légitime parce que j’ai travaillé.
Le scénario, c'est ce qui compte le plus dans le choix d'un projet ?
Tu ne peux pas faire un bon film sans une base d’écriture solide. On n’est pas assez reconnaissant de ce que font les scénaristes dans le métier. J’ai toujours été privilégié en tant qu’artiste. Et dès qu’on arrive sur la partie scénario, c’est limite si on ne te jette pas des pierres. Un jeune scénariste doit parfois contribuer à la production et prendre autant de risques que le producteur. Ce n’est pas normal. Tu te retrouves vite avec 90 pages à écrire, pour par grand-chose. C’est une réflexion que j’ai eue et je me suis promise d’en parler un jour publiquement si j’en ai l’occasion. Il faut défendre davantage les scénaristes. Sans un bon scénario, les bons acteurs ne viennent pas.
À quel moment peut-on considérer son scénario comme abouti ?
C’est une très bonne question. Je sais qu’un scénario est terminé quand je n’accepte plus les idées des autres. Mais l’écriture d’un film ne s’arrête pas au scénario, après il y a la proposition des acteurs et le montage… D’ailleurs, il y a un paradoxe. L’écriture est une forme de liberté qui n’existe plus à partir du moment où tu finances ton projet. Tu dépends du public, d’un producteur qui a besoin de s’y retrouver. Et c’est normal... Mais le financement est une autre histoire dans le film. Je ne sais pas ce que je vais faire de mes écrits. On verra un jour. Pour l’instant, j’ai mis un peu tout ça de côté. Après la Fémis, j’en avais marre d’écrire. Il a fallu que je digère tout ce que j’ai appris. C’était intense. Je me levais la nuit pour ne pas oublier une idée.
Avant ma formation, je n'étais pas du tout rigoureuse et dans cette école j’ai appris la rigueur, l’exigence. J’ai appris à structurer ma journée avec une obligation de m’enfermer dans un bureau pour au moins quatre heures, ce que je n’avais jamais fait avant. Dans cette pièce, tu te bats avec toi, parfois pour sortir une phrase que tu vas adorer et qui va te suivre pendant des années.
Tu t'accordes quelle liberté sur un tournage ?
Je pense qu’un acteur doit rester à sa place. Je ne vais jamais au combo, je ne vais pas regarder ce que j’ai fait. Quand un réalisateur me dit qu’il a la scène, je lui fais confiance. C’est son histoire, il décide si le personnage est assez fort pour exister ou non. J’ai ma partition à faire. La partie technique appartient au réalisateur. Il faut bien bosser en amont pour pouvoir s’offrir plus liberté et faire des propositions fortes sur le tournage.
En 2016 tu réalises Lena, ton premier court-métrage. À un moment la réalisation a été une ambition ?
Je le déteste. Je l’ai fait pour 5 000 euros et j’ai eu une super équipe. J’avais envie de faire un long-métrage avec eux pour les remercier mais, je me suis rétractée parce qu’on ne peut pas tout faire dans la vie. Je ne sais pas si je peux être une bonne réalisatrice. J’avais surtout besoin de sortir sur le papier des choses à ne pas oublier. Ce que j’avais écrit était très intime. J’ai vu les défauts techniques et je me suis demandé pourquoi je racontais ça aux gens. Pour l’instant, je ne suis pas capable de mettre en image mes histoires.
En attendant de retrouver tes histoires dans les mains d'autres réalisateurs, on peut venir observer tes peintures à la Galerie Sobering à Paris du 12 mai au 17 juin.
Il faut savoir que quand j’habitais à Paris, je passais souvent devant cette galerie que j'adore ! Ils représentent des artistes comme Per Adolfsen et quelques années plus tard ils me contactent pour exposer mes premiers dessins. J'ai quitté Paris en 2020 pour m'installer en Grèce. Je me suis retrouvée dans un appartement vide pendant le confinement, il était impossible de meubler cet endroit et d’en sortir à cause des restrictions... Du coup, pour dédramatiser la situation, je me suis mise à dessiner et à accrocher quelques-uns de mes dessins sur les murs (rires). Petite, le dessin était mon monde et j'y suis retournée pour me protéger de l'extérieur.
La Grèce, ça a été un coup de cœur immédiat ?
C'est un pays d’une richesse infinie. On ne le sait pas mais l’hiver en Grèce, c’est l’été en France. Ça fleurit de partout, les montagnes sont vertes, la nature est flamboyante. Les Athéniens sont généreux, disponibles, ils aiment vivre, manger et danser. Ce sont des kiffeurs ! Je suis une citadine, j’aime le bruit de la ville et cet immense bordel qu'est Athènes avec son architecture chaotique me plaît. Et puis la Grèce est le berceau de la civilisation, où que tu ailles il y a l'histoire. C’est inspirant.
Quels sont tes prochains projets ?
Je pars demain faire une petite scène à Athènes avec Klapisch pour le plaisir... mais plus sérieusement en 2022, j’ai le film d’un jeune réalisateur avec Alexis Manenti. On s’est rencontrés sur Enquête d’un scandale d’Etat de Thierry De Peretti. Ensuite, j’ai le film Le monde de demain avec Bruno Rolland, il a écrit un scénario magnifique. Il y aura la série Addict et mon exposition à la galerie Sobering du 12 mai au 17 Juin. Je prépare d'ailleurs un livre en argentique, en noir et blanc, entre Marseille et Athènes pour 2023 avec le photographe Bart Kuykens. Et après, on verra (rires).
Une citation fétiche à me délivrer ?
Je cite beaucoup René Char, Gilles Deleuze et Albert Camus. Je vais te donner deux citations mais que je vais associer : « Il n'y a que deux conduites avec la vie : ou on la rêve ou on l'accomplit » et « Je voudrais bien réduire ma vie à l’essentiel » de Camus. J’aime bien ce paradoxe entre vouloir accomplir ses rêves et tendre vers l’essentiel... »
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