Spécialiste du polar, Fred Grivois donne un angle différent du genre avec la série Piste Noire, actuellement sur France 2. Une fiction au propos très moderne : une opposition écologiste est déterminée à stopper la construction d'un projet considéré comme nocif pour l'environnement et qui va provoquer, telle une avalanche, l'enquête de meurtres et le règlement de compte familial. Fred Grivois signe avec Piste Noire une mise en scène soignée dans laquelle l'intrigue se mêle avec le fond et la forme. Rencontre avec Fred Grivois, une invitation au cinéma !
« Fred, les téléspectateurs découvrent actuellement la nouvelle série de France 2 Piste Noire. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
On pense souvent aux stations de ski et aux sports d’hivers comme quelque chose de familial, de sympathique, de vacances jolies et amusantes, une espèce de monde idéal et je trouvais intéressant d’aller montrer l’envers du décor de tout ça, comment ça se passe pour ceux qui travaillent et qui n’ont pas la chance de vivre tout en haut des montagnes. Cet aspect social m’a plu et au fond, c’est toujours la base d’un bon polar. Cette forme assez classique s’attaque, en général, à un problème socioculturel. Je remonte à Raymond Chandler, l’écrivain fondateur du polar moderne tel qu’il existe aujourd’hui. Les structures sont très souvent similaires : un accident nous dévoile quelque chose et les protagonistes tirent sur la ficelle pour révéler d’autres problèmes.
Piste Noire est portée par le duo Constance Labbé et Thibault de Montalembert…
J’aime bien les duos de flics. Je suis un fan de Shane Black, le scénariste de l’Arme Fatale et spécialiste du buddy-movie. Il y a d’ailleurs un petit clin d’œil au film de Richard Donner dont on est fan avec Thibault, son personnage a une réplique qui vient deux fois : « Je suis trop vieux pour ces conneries. » On a un peu modifié, avec les acteurs de Piste Noire, le duo tel qu’il était écrit à la base. On s’est amusé à inverser les dynamiques entre les deux pour les rendre plus modernes. Le personnage d’Emilie (jouée par Constance Labbé) a des problèmes de couple et le fait que son orientation sexuelle ne soit à aucun moment un enjeu m’a plu. Le polar sert à dépeindre des caractères et est aussi très géographique. Si on prend Chandler, ça raconte toujours une ville qui grandit, en l’occurrence Los Angeles dans les années trente et quarante.
C’est la première fois que vous réalisez une fiction que vous n’avez pas écrite. Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
Ça change dans la relation qu’on peut avoir avec le diffuseur et les producteurs. J’écris normalement ce que je fais, mais pour la première fois de ma carrière je n’étais pas à l'origine du projet. Pour Piste Noire, je devenais un mercenaire, ce qui est intéressant car c’est la méthode américaine. J’ai fait mes études aux Etats-Unis donc ça ressemble le plus à mon apprentissage du métier. J’ai passé des années à la direction artistique de France 2 et venir réaliser une série pour la chaîne, ça bouclait une boucle personnelle. Maintenant, quand on s’attaque à un scénario dont on n’est pas l’auteur, on a forcément envie de changer des choses. J’avais fait quelques petites modifications sur les deux premiers épisodes, et puis quand on a des acteurs du calibre de Constance Labbé et Thibault de Montalembert, avec des capacités gigantesques à improviser, il y a des choses qu’on a fait évoluer en profondeur dans l’appréhension qu’ils avaient des personnages.
En effet, vous apportez votre identité visuelle avec une mise en scène où le suspense, l'émotion, l'amour et la tension s'entremêlent parfaitement, le tour dans un seul et même projet...
En tant que réalisateur, c’est beaucoup de risques et si on n’en prend pas, on s’amuse moins. Depuis que je fais ce métier, notamment pour la télévision - le cinéma étant un peu différent en termes de liberté créative - j’ai envie de sortir des sentiers battus et de ce que j’appelle « la télé de papa », c’est-à-dire champ, contrechamp, plan large, un moyen de se rassurer et de rassurer tout le monde. Par exemple, dans Piste Noire, on a tourné avec mon directeur photo des scènes entièrement en plans-séquences, c’était compliqué à faire mais extrêmement payant au final. Les grandes chaînes hertziennes évoluent beaucoup, France 2 est d’ailleurs venue me chercher pour ça et je ne vous cache pas le plaisir que ça a été de filmer la montagne. Je suis franco-canadien donc le froid ne me fait pas très peur, au contraire, je préfère tourner par moins dix degrés que par plus de quarante. J’avais tourné un film dans le désert marocain et j’ai plus souffert de la chaleur que de l’hiver dans les Alpes. La montagne a cet avantage de se cadrer toute seule, le fait qu’elle n’est pas de lignes d’horizons force à la filmer d’une certaine manière et vous donne des images dont on n’a pas l’habitude.
On peut découvrir les coulisses de Piste Noire avec le Vlog de Constance Labbé sur votre chaîne Youtube…
Oui ! Je lui avais passé une GoPro en lui disant de se filmer du réveil au coucher. Depuis un moment, je raconte ce que je fais et ça va continuer de façon plus poussée pour ma prochaine série.
D’où vient votre goût très prononcé pour la réalisation ?
Je me souviens d’un été, au mois d’août, on s’ennuyait avec mon père à notre retour du Canada. J’avais sept ans et il m’a emmené voir Les Aventuriers de l’arche perdue et je crois que ça a changé ma vie. Mon père me racontait que j’étais sorti de la salle en disant : « Sois je serais archéologue, sois je raconterais des histoires. » J’ai grandi au Canada dans les années 80 et quand on est le petit dernier d’une famille nombreuse, les parents ont tendance à utiliser la télé comme baby-sitter. J’ai mangé beaucoup de séries et de films, il y avait cent chaînes de disponibles.
Et puis à l’âge de onze ans vous avez commencé dans une compagnie de théâtre…
Absolument. Un prof de théâtre - qui était aussi metteur en scène - m’a choisi dans la cour de récré puisqu’il trouvait que je gueulais plus fort que les autres. Ma voix portait déjà plus que mes copains quand on jouait ensemble. Je me suis retrouvé à faire une tournée dans laquelle je jouais la page du Roi de Créon dans Antigone de Jean Anouilh. À partir de là, j’ai joué dans plusieurs pièces avant de devoir m’arrêter à vingt-deux ans quand je commençais à avoir trop de boulots. Je m’orientais de plus en plus vers la réalisation pour avoir plus de maîtrise et je n’ai pas réitéré l’expérience d’acteur jusqu’à cette année où j’ai un rôle dans ma prochaine série.
Qu’avez-vous appris aux Etats-Unis ?
L’avantage de l’université américaine, c’est qu’il y a énormément de pratiques. Je me souviens du premier jour où les profs nous ont emmenés dans une pièce dans laquelle un immense coffre-fort cachait plusieurs caméras différentes. On a démarré par une vieille caméra amateur, familiale, une version de seize millimètres et on devait se mettre en groupe de cinq pour faire un film tourné et monté. Ça, ce n'était que le premier jour ! J’ai appris le montage à la coupeuse et à la colleuse, ça nous poussait à réfléchir. C’était intéressant d’apprendre le cinéma comme ça. En plus, les Américains vous donnent plusieurs formations, du scénario à la direction d’acteurs, tous les aspects sont couverts de manière purement technique.
Pour vous, un réalisateur est un artisan, pas un artiste…
Ça n’engage que moi. Mon idée du plateau, c’est que chacun amène son savoir-faire. Un réalisateur n’a en aucun cas la science infuse et encore une fois, ce n’est que mon avis. Quand on est réalisateur, c’est important de connaître tous les métiers et d’avoir des idées qu’on partage à son équipe. On se nourrit des uns et des autres.
Toujours selon vous, il existerait deux types d’acteurs : le genre intuitif et le genre obsessionnel.
Ce qui est intéressant, c’est d’en avoir toujours des nouveaux. Je vais travailler avec JoeyStarr, il est dans l’intuition et a une capacité d’improvisation très forte, celle des gars du hip-hop qui montent sur scène à plusieurs pour être dans le partage avec leur public. David Fincher disait : « Le plus important quand on est réalisateur, c’est donner à une équipe entière, à un instant T, la même note ». Quand vous avez au moins une vingtaine de personnes à synchroniser et qui n’ont pas les mêmes méthodes de travail, il faut que tout le monde au moment fasse exactement la même chose à « action ! », sinon on n’y arrive pas.
Sur votre chaîne Youtube, vous parlez de la dépression post-tournage…
C’est à la fois un métier passion et qui peut s’avérer difficile. On peut penser qu’on est en vacances quand on est en tournage… Pour Piste Noire, j’ai adoré tourner dans les Alpes mais ça pouvait être aussi compliqué d’être loin de mes enfants et de mon épouse. Quand on rentre à la maison, le rythme change. On a fait un choix de vie qui n’est pas celui d’un emploi de bureau, donc il faut toujours l’assumer. Je commence à m'y habituer avec le temps et l'expérience, ça fait partie du jeu.
Quels sont vos prochains projets ?
Je vais prochainement tourner une nouvelle série pour Arte, du kung-fu marxiste avec Margot Bancilhon, JoeyStarr et Alysson Paradis dans les rôles principaux. Le casting est aussi composé de ma troupe habituelle : Michaël Abiteboul, Sébastien Lalanne. Je retrouve également Solène et Jules Rigot que j’ai rencontrés sur Piste Noire. La série est assez politique et va expliquer, entre trois bastons et de la très bonne musique, la lutte des classes aux plus jeunes. Comme c’est écrit sur le scénario : plus de mandales et moins de merguez. Je travaille sur ce projet depuis cinq ans et je n’en reviens toujours pas qu’il se fasse avec un casting de rêves.
Pour conclure cet entretien, auriez-vous une citation fétiche à me délivrer ?
Vous me posez une colle… En tournage, je disais beaucoup : « Copain, c’est pas mon métier. » Et un jour, un chef machiniste passe derrière moi et me dit : « Connard non plus. » J’ai trouvé ça absolument génial et depuis, j’ai un peu changé mon fusil d’épaule. »
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