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Abdel Raouf Dafri : "Si le cinéma existe, c'est grâce à la littérature."

  • Photo du rédacteur: Samuel Massilia
    Samuel Massilia
  • il y a 4 jours
  • 5 min de lecture

Il n'a jamais dissimulé la part de rage qui l'a accompagné à ses débuts : « J'ai écrit un jet de trente pages d’Un Prophète, j’étais tout seul, au RMI. Et ça m’a permis d’exister. J’étais un petit garçon de 38 ans très en colère… » confie Abdel Raouf Dafri. Conscient que cette colère brute risquait de déborder dans son écriture — « sinon l’histoire va sentir le seum et ce n’est pas bon », lâche-t-il en riant — il s’entoure alors d’une plume plus posée, celle de Nicolas Peufaillit. Présent au festival Creatvty, Abdel Raouf Dafri a pu découvrir les premières réactions du public devant les deux premiers épisodes d'Un Prophète, la série événement adaptée du film culte qu’il avait co-écrit. Rencontre.


©Denis Guignebourg / Bestimage
©Denis Guignebourg / Bestimage

« Abdel, vous étiez membre du jury de la 2ᵉ édition du festival Creatvty, à Sète. Comment avez-vous abordé ce rôle de jury ?

Je regarde les films comme n’importe quel spectateur et le fait d’être à l’intérieur du métier ne fait pas de moi une personne avec un regard plus intelligent ou pertinent. Le travail d’une fiction - film ou série - est de transmettre une émotion. Je suis toujours très sincère quand je dois partager mon avis sur un projet. L’entièreté et la sincérité font défaut à beaucoup de métiers en France, notamment ceux s’adressant aux Français.


Avez-vous le souvenir de la première fois où vous avez été créatif ?

Oui. À mes débuts en tant qu’animateur radio en 1981, j’avais du verbal, mais les paroles se sont envolées. J’ai compris le sens de la créativité le jour où j’ai décidé de devenir scénariste. Pour moi, la radio et la télévision créent des produits morts nés. Personne ne revoit de vieilles émissions. En revanche, on peut transmettre à ces enfants des films de Buster Keaton, de Charlie Chaplin, de Jean Renoir. Le cinéma, quand il est vraiment bien fait, ça reste. Les gens ne l’oublient pas. J’ai éduqué ma fille au cinéma en noir et blanc et surtout, à la littérature.


Pourquoi ?

Parce qu’il ne faut jamais oublier que si le cinéma existe, c’est grâce à la littérature. La plupart des films américains - pour ne pas dire 98% - sont issus soit de bande dessinés, soit de livres. A la base, Le Parrain est un best-seller de Mario Pozzo ! Les américains consacrent un respect énorme aux scénaristes, même si on est des êtres bizarres et c’est normal car on passe notre temps à être dans nos bulles. Comme les peintres. On est quelque part anormaux, mais on ne perd pas le sens commun !


Qu’attendez-vous d’une adaptation de livre ?

Je suis plus du côté de la culture anglo-saxonne. Je vais vous raconter une anecdote liée à un film et à un auteur que tout le monde connaît, Stephen King. Dans les années 90, Rob Reiner, metteur en scène, décide avec le scénariste William Goldman d’adapter Misery avec James Caan. Au départ, ils appellent l’acteur Warren Beatty pour jouer le rôle de l’écrivain cloué sur le lit d’une femme folle. Un déjeuner est organisé avec Rob Reiner. Warren Beatty lui avoue avoir adoré le scénario et William Goldman le remercie pour sa confiance. Seulement, Warren rajoute : « Dans le livre, l’infirmière découvre que le personnage de l’écrivain a tenté de se sauver et pour le punir, elle lui coupe le pied à la scie à métaux. » Avant de rajouter : « Les Américains, nos compatriotes, n’aiment pas les éclopés. Si vous acceptez de changer ça, j’accepte de jouer. » James Caan est appelé, le film est tourné et on lui coupe le pied. Ils font ensuite des sneak preview, des séances avec des spectateurs triés sur le volet et avec une fiche pour donner leur avis. 98 % des fiches revenaient avec la mention « il a peut-être gagné à la fin, mais il est foutu, il a perdu un pied. » Rob Reiner, William Goldman et le studio se concertent et se disent : « Fuck Warren, il avait raison ! » (rires). La scène a été retournée telle qu’on la connaît avec l’infirmière installant une bûche entre les deux chevilles de l’écrivain et lui cassant la cheville avec une masse. À la fin, il boite mais son os peut se remettre en place. Voilà, c’est ça l’adaptation à l’américaine. Aux États-Unis, les scénaristes ont tendance à scrupuleusement suivre le bouquin, par respect pour l’auteur. Alors qu’en France, on vous dit : « Tu prends le bouquin et tu fais ce que tu veux. » Pardon ? (rires).


Les deux premiers épisodes de la série Un Prophète ont été diffusés. Quelle relation souhaitez-vous que le public fasse ou non avec le film ?

Ça n’a rien à voir et les gens vont s’en rendre compte. Vraiment. Je vais reprendre les paroles du président de la Mostra, à Venise. Quand nous avons été sélectionnés hors compétition, il a appelé le metteur en scène, Enrico Maria Atale, et lui a dit en italien : « Ce n’est pas une série, c’est du cinéma. J’adore le film, mais là, ce n’est pas le film. » Au départ, j’ai refusé quand le producteur Marco Cherqui me l’a proposé. Il s’est d’ailleurs battu comme un diable pour financer cette série. De mon côté, je me demandais si on allait pas décevoir les gens. Pour beaucoup, le film est un chef-d'œuvre. Marco m’a demandé de réfléchir et c’est en voyant la première saison de Fargo, au titre éponyme du film des frères Cohen, que j’ai vu qu’il était possible de le faire.


Le casting d’Un Prophète version série semble aussi nourri par une réflexion sur l’origine sociale et géographique des personnages. Comment cela a-t-il influencé votre travail ?

Aujourd’hui, on a des tas d’acteurs et d’actrices d’origine maghrébine, donc on ne peut plus dire qu’ils ne trouvent pas de travail. Ils existent socialement. Ce qui nous manque actuellement, ce sont des acteurs et des actrices noir au cinéma. Si l’on demande d’en citer cinq du niveau de notoriété d’Omar Sy, personne ne peut répondre. Alors qu’aux États-Unis et en Angleterre, on les a. Nous avons colonisé le Maghreb, l’Afrique et les Comores. À Marseille, il y a la plus grande communauté comorienne et elle vit dans le quartier le plus pauvre d’Europe. C’est un pays musulman où tous les enfants ont des prénoms tirés du Coran. En plus, les Comores côtoient des départements français comme la Calédonie, où il y a beaucoup de trafics de drogues. Tu vois le circuit pour arriver jusqu’à Marseille ? (Rires)


Le film avait révélé Tahar Rahim. Pour la série, comment avez-vous abordé la recherche d’un nouveau visage capable d’incarner ce rôle emblématique ?

J’ai dit au réalisateur : « Ce qui a fait la magie du Prophète, c’est la mise en scène, l’originalité, le scénario, mais ce qui a scotché les gens, c’est Tahar Rahim qui sort de nulle part. » Il nous faut le même miracle et on l’a trouvé. Il s’appelle Mamadou Sidibé. J’ai eu l’occasion de parler avec les autres acteurs de la série comme Salim Kechiouche et Moussa Maaskri qui m’ont demandé d’où il sortait. Huit jours avant de signer son premier contrat pour devenir le premier rôle d’une série de huit épisodes, il vendait des sandwichs. On l’a repéré en casting sauvage car il n'y a que là qu’on trouve un inconnu. Il est brillantissime. À ces essais, il ne dit pas un mot, mais son visage dit tout.


Quels sont vos prochains projets ?

Récemment, j’ai adapté le livre d’un ancien grand flic pour en faire une série. C’est une histoire sur la mafia juive et chinoise à Paris. Et on découvre, au fil des épisodes, qu’ils se connaissent depuis 1914 quand la France a fait venir des travailleurs chinois pour l’effort de guerre. Ils vont découvrir qu’ils sont les minorités méprisés d’une France alors de droite, conservatrice, catholique et vont décider d’unir leurs forces. C’est méconnu et Historique. »


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© 2021 par Samuel Massilia.

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