Anne Muraro : "Les œuvres ouvrent le champ des possibles."
- Samuel Massilia
- il y a 1 jour
- 9 min de lecture
Chez Anne Muraro, tout semble guidé par une intuition première : celle que le regard, lorsqu'il s'éveille, transforme à jamais notre rapport au réel. Son parcours, loin des voies tracées, relève d'une conquête du regard. Anne ne considère pas les œuvres comme des objets figés dans un musée : elle les pense comme une expérience, une conversation vivante entre le passé et le présent, entre la matière et l'idée. Discuter avec Anne Muraro, c'est comprendre que l'art n'est pas une posture, mais une manière d'aimer le monde un peu plus fort. Rencontre.

« Anne, vous êtes historienne de l’art et vous dirigez la société ParisDeluxe&Arty. Quel a été votre premier rapport avec l’art ?
J’ai un parcours un peu atypique. En effet, je viens d’un milieu qui n’est pas du tout lié à celui de l’art. J’ai grandi dans un petit village de Lorraine et j’ai eu une sorte de révélation devant une carte postale de Kandinsky, achetée à l’âge de quinze ans quand j’allais au lycée, à Metz. À la fin des années 80, c’était un désert culturel. Il n’y avait pas encore le Centre Pompidou mais un musée d’archéologie ; il fallait se rendre à Nancy pour voir des musées consacrés aux Beaux-Arts. J’étais déjà fascinée par Paris, je m’imaginais y vivre, y travailler. À cette époque, c’était le début d’un engouement pour l’art contemporain. Il y avait des grands débats autour de la pyramide du Louvre et des colonnes de Buren. Je voyais tout cela à la télévision. Les médias m’ont ouverte sur l’art. Le magazine Actuel était important pour moi, avec toute la bande de Bizot. J’étais encore étudiante à Metz et je fantasmais sur Radio Nova, Oui FM et sur toute la scène pop-rock, aussi. Je lisais Libération à quinze ans et me souviens des pages sur la musique et de la rock critic Barbarian, avec laquelle j’avais une correspondance. Dans la musique, j’écoutais toute la scène underground, surtout anglaise, et ça m’a amené à la littérature. Jusqu’à découvrir dans une petite boutique de design des cartes postales de tableaux que je ne connaissais pas. J’en ai acheté une - celle de Kandinsky - des années 30 et je voyais qu’avec de la géométrie, on pouvait faire des œuvres d’art. J’ai commencé à lire sur cet artiste et depuis ce jour, le portail s’est ouvert et ne s’est jamais refermé.
Quelle sensation ressentiez-vous devant les œuvres ?
Ça ouvre le champ des possibles. Je n’avais jamais été confrontée à l’art conceptuel ni à l’abstraction. À treize ans, avec mon groupe d’italien, on était partis à Florence et j’avais eu un choc devant Botticelli. Ces tableaux que je voyais dans mes livres d’histoire étaient désormais devant moi. C’était comme rencontrer quelqu’un. En revenant en Lorraine, j’ai retrouvé mon quotidien et je n’avais personne pour m’orienter. Ça me fait penser au poème Correspondances de Baudelaire que j’adore : La nature est un temple où de vivants pilliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles / L’homme y passe à travers une forêt de symboles / Qui l’observent avec des regards familiers (…) / Les parfums , les couleurs et les sons se répondent (…). Quand on n’est pas initié, on à l’impression de traverser une forêt de symboles et on ne comprend pas encore. La télévision m’a permis d’accéder à toutes ces formes d’arts et de découvrir un vocabulaire qui m’a tout de suite fait écho, comme si ça me rappelait quelque chose de familier.

Comment est venue l’envie, plus tard, de faire l’École du Louvre pendant trois ans ?
Ma marraine qui vivait au Luxembourg et suivait des cours sur l’histoire de l’art, m’a incitée à faire cette école dont je n’avais jamais entendu parler auparavant ! Au départ, je voulais faire des études de pub pour devenir conceptrice et rédactrice. Puis le désir de travailler dans une galerie d’art m’a attirée énormément. Je lisais Galeries Magazine et visitais les galeries de plus en plus. C’était devenue pour moi une nécessité intérieure - comme le disait Kandinsky pour les artistes. La mienne était de travailler avec des artistes et de transmettre mes connaissances à un public. Ma marraine, ma bonne fée, m’a donc poussé à faire l’École du Louvre et j’ai ensuite dû batailler avec mes parents. Ils ne comprenaient pas ce milieu. Pour eux, je n’allais pas avoir de profession ou réussir dans la vie. Quand on n’est pas familier avec un environnement, on peut avoir tendance à surprotéger un enfant, à l’en éloigner. J’étais si déterminée que mes parents ont fini par accepter de suivre mon choix et grâce à leur soutien financier j’ai pu faire cette école, je les en remercie. Heureusement que je ne savais pas que c’était aussi difficile (rires). J’ai vraiment dû m’accrocher quand j’ai commencé.
Qu'avez-vous appris ?
Tout ! Je partais de rien mais j’étais plus à l’aise avec le 19ᵉ siècle ; à cette époque, il y a 35 ans déjà, le monde des galeries d’art était assez froid et fermé, on me faisait bien comprendre que ce n’était pas mon milieu. L’enseignement de l’histoire de l’art que j’ai suivi dans cette école unique couvre toutes les civilisations et tous les continents, en partant de la préhistoire jusqu’à l’art contemporain C’était une vision à 360 degrés du monde de l’art. Pour moi, c’est la meilleure école ! Certains professeurs nous incitaient à voir beaucoup d’œuvres, à « sortir », pour se faire l’œil. J’ai fait le cursus pendant trois ans et un conservateur n’a pas voulu me laisser passer en quatrième année, en muséologie. Ce n’était pas grave car je ne voulais pas travailler dans une institution ou un musée. Je voulais être sur le terrain, avec des artistes, et mon rêve était de travailler dans une galerie.
Et vous allez pousser la porte de la galerie Le monde de l’Art…
Oui. À cette époque, on m’a accueillie sans me demander si mes parents étaient collectionneurs ou si je possédais un carnet d’adresse ou si je collectionnais moi-même. Cette galerie était inspirée de la revue russe Mir Iskusstva. On était en 1995 et des artistes cubains, africains, iraniens et taïwanais y étaient exposés. Malheureusement, le marché n’était pas encore prêt et la galerie s’est arrêtée au bout de deux ans. Dans cette galerie gravitait toute la bande de Radio Nova et d’Actuel. Je les ai tous croisés. C’était il y a trente ans et aujourd’hui encore, je côtoie des artistes, comme Erik Nussbiker, Blanca Li, Isabelle Plat, rencontrés à cette époque-là, si formatrice et riche en rencontres .

Quels souvenirs avez-vous de votre première rencontre avec Paris ?
Paris ne m’a jamais intimidée, car c’est ce que je voulais. J’avais partagé avec ma mère mon rêve d’habiter dans le 1ᵉʳ arrondissement, et aujourd'hui, j’y suis. En arrivant pour la première fois, j’avais une surexcitation, presque un syndrome de Stendhal. J’ai toujours trouvé cette ville amicale, généreuse pour la culture et l’accessibilité à l’art. Il y a presque un côté village par rapport aux autres grandes villes internationales. À l’époque, même sans grands moyens, je pouvais découvrir les arts vivants et explorer le patrimoine historique. Je me souviens de ces deux merveilleux festivals : Paris quartier d’été et le Festival d’Automne, avec notamment des spectacles de la chorégraphe Trisha Brown dans les jardins du Palais Royal, des spectacles de compagnies de danse au Palais Garnier ou sur le parvis du Centre Pompidou, tous gratuits. J’ai même rencontré le grand compositeur de musique concrète Pierre Henry chez lui, grâce ces programmations culturelles parisiennes !
Quel a été le déclic pour créer votre société ParisDeluxe&Arty en 2008 avec laquelle vous organisez notamment des expériences parisiennes et proposez des visites culturelles?
Là encore, c’est une bonne fée qui m’a repérée (rires). Une journaliste a fait un article sur moi dans Departures Magazine, envoyé aux personnes possédant une black card AMEX, et ça m’a permis de créer ma société. La plupart de mes clients sont anglophones, à 90%. Pour eux, je me présente comme une insider, parce que je connais le monde dont je parle, de l’intérieur. Quand je leur recommande des hôtels ou des restaurants, je parle unniquement de ce que je connais bien at apprécie. Dans les expériences proposées il y a non seulement les visites culturelles mais aussi l’art de vivre à la française incluant le luxe, synonyme d’excellence, de tradition et de création ; c’est ce mes clients viennent chercher aussi à Paris.
L’idée est d’être présente tout au long de leur voyage ou d’intervenir ponctuellement. J’essaie toujours de faire « matcher » la demande avec mon réseau. Je n’orienterai jamais des clients vers des expériences qui ne leur conviendraient pas. C’est du profilage. Je cible assez vite le profil de mes clients, parfois simplement grâce à la formulation de leur demande ou leur style d’écriture dans leur mail, et je vais leur faire ensuite des propositions personnalisées. Je n’ai jamais fait d’études de marché, ni élaboré des plans marketing, j’ai d’abord eu des intuitions quand j’ai démarré mon activité et l’expérience du terrain est venu nourrir ce qui est devenu ma mission. J’ai également une clientèle française et européenne, davantage pour la partie conseil aux collectionneurs.
Concernant les visites, être conférencière dans un musée ce n’était pas du tout une option pour moi au départ ! Jusqu’à ce qu’un artiste me recommande de le faire. Et ça m’a plu car je l’ai fait à ma manière. J’amenais un certain public vers l’art contemporain, avec des petits groupes allant jusqu’à quinze-vingt personnes parfois, des français voyageant à l’étranger (Venise, Londres, Amsterdam, Barcelone, Madrid, Bilbao, Anvers…) avec des agences de voyage culturels haut de gamme. C’était très exigeant mais pas du tout rémunérateur. J’ai préféré continuer à Paris, avec une clientèle étrangère cette fois, en proposant l’art contemporain, la mode, le design, le shopping, la joaillerie, le luxe et les créateurs de niche. Tout ce qui m’animait. Plus tard, j’ai compris que ça répondait exactement à cette fameuse citation, devenue mon mantra : Love what you do and do what you love ! J’ai construit un univers que je transmets à mes clients.
Quel était le public concerné ?
J’ai surtout un public d’amateurs, parfois de connaisseurs, voire des collectionneurs ou mécènes, mais je n’ai pas beaucoup de personnes diplômées en histoire de l’art parmi mes clients. Et même si j’ai déjà travaillé pour des personnes du monde de l’art on ne peut pas avoir des connaissances universelles, chacun a son domaine de compétence et ça s’enrichit mutuellement. Je reconnais que c’est plus difficile de faire des visites pour des personnes qui ne connaissent absolument rien, car le sujet – l’histoire de l’art- est tellement vaste ! Cependant en France, même si on n’a pas fait des études axées sur l’histoire de l’art, on a quand même un bagage culturel commun grâce à l’histoire et l’architecture. Pour des personnes venant d’autres cultures et qui ne connaissent pas l’art occidental, il n’y a plus d’échelles de valeurs, de hiérarchie, auxquelles nous sommes habitués, et c’est très intéressant de se confronter à cela aussi, mais le point commun de tous mes clients, c’est qu’ils sont motivés pour apprendre, découvrir et surtout s’émerveiller !
Quels sont vos prochains projets ?
J’avais collaboré avec Odile Texier, Interior Designer, auparavant installée au Palais Royal, et pour laquelle j’avais sélectionné des artistes pour sa galerie, elle vient de s’installer en Floride et nous poursuivons la collaboration avec mes artistes, car je suis également agent d’artistes. J’ai démarré en parallèle une autre collaboration avec un galeriste français installé à Perth, en Australie, et j’expose deux de mes artistes dans une villa d’hôtes à Minorque.

Et puis à Paris je fais de plus en plus de visites d’ateliers avec des personnes qui ont envie de collectionner et ne savent pas par où commencer. Ma société me permet de rencontrer de grandes familles de collectionneurs, des personnalités connues du monde du cinéma comme Liam Neeson, Robert Downey Junior, Eva Mendes, Jennifer Lawrence, pour n’en citer que quelques unes, mais aussi des stars du sport américain, des medias, des mécènes… Je ne sais jamais qui va me contacter, c’est toujours la surprise du prochain e-mail et des futures propositions, des parcours sur mesure incluant des lieux exclusifs auxquels je peux avoir accès, que ce soit des appartements privés ou des pop up. La plupart du temps, dans toutes mes prestations, l’art est le dénominateur commun.

Pour conclure cet entretien, auriez-vous une citation fétiche à me délivrer ?
« Love what you do and what do you love. » D’aimer ce que l’on fait et de faire ce que l’on aime, c’est extraordinaire. Le pouvoir de l’amour est fabuleux. L’amour des artistes, de l’art et des rencontres. Et puis je terminerai avec cette citation qui résume ma mission, que je pose en signature sur ma business card, et qui vient de Marie d'Agoult,qui écrivait sous le pseudonyme Daniel Stern : « Sachons mettre l’art dans la vie et la vie dans l’art ! »
Compte Instagram d'Anne Muraro : @parisdeluxearty
Anne est aussi agent des artistes suivants :
@adriencouvrat
@evemalherbe
@wangsuoyuan
@comoe_josue

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