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Bruno Debrandt : "Les combats d'hier sont toujours ceux d'aujourd'hui."

Glacial, méthodique et profondément misogyne, il fallait un homme doux, posé et sensible pour entrer dans la tête et le corps du monstrueux Pierre de Lancre. Dans la nouvelle série de France 2, Filles du feu, le comédien Bruno Debrandt incarne un juge bordelais passionné par les questions de sorcellerie et mandaté par le roi Henri IV pour mener l'une des chasses aux sorcières les plus meurtrières de France. Si ses multiples formations théâtrales l'ont aidé a relâcher le costume, ce tournage dans le Pays basque ne l'a pas laissé indifférent.


© C.Douchant

« Bruno, comment êtes-vous entré dans la peau du juge Pierre de Lancre ?

On n’a pas vraiment de commentaires et de notes sur lui. Mais l’écriture du scénario était très riche et l’interprétation que j’en propose est très personnelle. J’ai essayé d’entrer dans sa peau d’enfant débile et de réfléchir sur la figure du prosélyte, de l’extrémiste, de l’intégriste, quel qu'il soit. L’intégriste aussi cruel soit-il, est un homme de passion au sens propre, il sait être passionnant voire séduisant, avec un discours bien construit. Le juge Pierre de Lancre arrive au Pays basque avec sa démagogie, ses convictions pour convaincre la plupart des gens, même l’Eglise.


S’approprier des costumes et jouer dans des décors naturels, ça aide à s’imaginer vivre dans cette époque…

Ça joue énormément, c’est capital. Cette série a été extrêmement bien produite avec des personnes compétentes et une équipe adorable, investie. Le Pays basque, entre la forêt et l’océan, est un paysage inouï et très bien entretenu par les locaux eux-mêmes. Ça donne une campagne intemporelle. Les Basques aiment leur territoire et en prennent soin. Nous avons pu tourner au château de Cazeneuve, près de Bordeaux, un bijou conservé de l’époque avec un territoire magistral qui a 30 000 ans d’âge, et protégé par Natura 2000 puis par l’UNESCO. Quand on vit dans ses décors naturels magiques - ce qui est un cadeau pendant deux mois - avec le bruit des armures notamment, ça aide à se glisser dans la peau de cette époque. La maison des sœurs Elissalde date vraiment de 1609, les chevaux pouvaient monter les escaliers pour aller dans les chambres. Les murs, les odeurs, la terre, les fleurs, les arbres autour, tout respirait 400 ans d’histoire. Et c’est notre métier d’être ouvert et sensible pour prendre toutes ces énergies.



Ça a été difficile de vous déshabiller de ce personnage ?

J’ai été formé au théâtre donc j’ai un rapport assez distancié aux compositions et aux univers. En revanche, le caractère de l’homme et de ce qu’on a traversé ensemble, ce n’est pas rien. Pendant quatre mois, je me suis interrogé sur la cruauté des hommes, l’aveuglement, la naïveté et le fait de brûler des femmes et des enfants. Vivre avec lui en cherchant à le comprendre est une traversée dont il est difficile d'en ressortir. Si on fait son travail correctement, on va au bout des questions.


Et vous avez trouvé des réponses ?

Oui. L'intégriste est tellement convaincu de ses propos qu'il va aller au bout des preuves. J’ai voulu rendre ses paradoxes pour dénoncer le monstre. Il est à la fois sensible à la beauté et à l'horreur. Aussi dégoûté que passionné par un corps. Ce qui m'intéressait chez de Lancre, c'est qu'il ne s'agissait pas d'une histoire de pouvoir et d'enrichissement. Peut-être avait-il rêvé de devenir cardinal, un homme de Dieu, obsédé d'être au plus près du Commandeur, d'avoir la meilleure place au paradis. Je suis allé chercher chez lui une forme d’innocence, la cruauté des enfants qui ne savent pas ce qu’ils font.


© Thierry LANGRO - Kwaï - FTV

La série a une approche moderne avec ses trois héroïnes contemporaines. Quelle résonance peut avoir l'histoire des Filles du feu avec les combats menés aujourd'hui ?

Sous prétexte de divertissement, cette série remet à jour un épisode historique méconnu qui a été tu, pour parler de nous aujourd’hui. Il parle de féminicide. Deux siècles auparavant, les élites, les magistrats, les philosophes, étaient beaucoup plus permissifs et tolérants dans une modernité qui nous est très proche. Ce qui est intéressant dans la fresque historique, c’est de rappeler que l’histoire bouge et qu’aujourd’hui, on est peut-être plus arriéré qu’il y a deux cents ans. Je peux prendre l’exemple des Etats-Unis où on vient de remettre l’interdiction de l’avortement. On voit aussi qu’à 200km de chez nous, on continue à affamer, assoiffer des enfants pour des histoires de territoires. On dit toujours que les barbares sont très loin, mais non, ils sont chez nous.


Il y a énormément de punchlines dans la série. Elle a été écrite pour faire réfléchir et raisonner sur notre époque, et se rendre compte que, finalement, les combats d’hier sont toujours ceux d’aujourd’hui, rien n'a bougé. On fait croire qu'on est de plus en plus moderne alors que non. Pour moi, on est dans une régression. Il y a un repliement sur soi de toutes les "communautés" y compris dans cette ère #MeToo, une guerre froide, parfois chaude, entre les hommes et les femmes sur la question de l'équité. Il faut se battre pour toutes les libertés, des femmes, des enfants, des hommes démunis. De mon point de vue, on vit une violence sociétale à tous les niveaux. Par exemple, il m'est insupportable de continuer à marcher dans les rues de Paris, cette capitale est l'une des plus riches au monde, des gens dorment par terre et on me demande quinze fois par jour la pièce, c'est insupportable ! On jette plus de nourriture qu'on en consomme. Ce n'est d’ailleurs pas le pouvoir qui est en question, c'est nous-mêmes. Je fais une digression mais il faut qu'on reprenne la main sur notre destin, au lieu d'accuser nos élus en permanence alors que la moitié d'entre nous ne votons plus, moi y compris. Le pouvoir c’est nous. Cette série raconte très bien la violence d’un homme seul qui prétend être dépêché par le pouvoir alors qu’il abuse le pouvoir.


© Thierry LANGRO - Kwaï - FTV

Le grand public vous connaît pour avoir été le capitaine Fred Caïn, mais vous êtes aussi un homme de théâtre. Bruno, quel est votre rapport avec les planches ?

C'est ma maison. J'ai eu la chance d'être formé par de grands maîtres et d'avoir voyagé dans toutes les formes. Pour moi, être acteur n'était pas un objectif mais un prétexte. Les planches, c'est l'atelier. Le théâtre, c'est la troupe. J'aime voir une bande de gens aux métiers et aux intérêts différents se réunir pour fabriquer un bateau. C'est un peu, à chaque fois, l'arche de Noé. Tout le monde fait de son mieux pour recréer un monde qui doit éclairer celui qui le regarde. Le théâtre est à la fois sacré et artisanal. Chaque pièce ou chaque film nous emmène dans une histoire où on s'attache à la fable et aux personnages, plutôt qu'aux acteurs. Dans l'industrialisation de notre secteur, on veut starifier les figures pour fidéliser les spectateurs. J'essaie un peu de faire mon Ulysse. Mon métier, c'est la disparition. Alors que le monde dans lequel on vit, c'est l'inverse.


Quels sont vos prochains projets ?

Je tourne actuellement une série pour TF1, une nouvelle saga sur la disparition d’enfants, très bien ficelée et filmée du point de vue de la famille. En octobre, je vais tourner dans une comédie romantique inscrite dans un cadre social où il est question de sauver une entreprise en Bretagne. C'est la rencontre entre deux conditions et comment des petites entreprises doivent se battre pour ne pas se faire manger par les grands groupes et faire disparaître la qualité d'un savoir-faire et l'esprit d'initiative et d'invention.


Pour conclure cet entretien, auriez-vous une citation fétiche à me délivrer ?

Carpe Diem. Sans oublier les autres. »

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