Charlotte Schiøler : "Maoussi est le fruit de leur couple parallèle."
- Samuel Massilia
- il y a 14 heures
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Son premier long-métrage s'impose comme une fable contemporaine. Avec Maoussi, Charlotte Schiøler y déploie un regard rare : celui d'une réalisatrice qui sait faire exister les corps, les micro-gestes, et qui transforme une situation en apparence simple en une exploration sensible des liens humains. Par ce film, Charlotte affirme une signature claire : un cinéma où l'intime respire, où l'absurde caresse le réel, et où chaque rencontre peut ouvrir une brèche lumineuse. Rencontre.

« Charlotte, votre premier long-métrage, Maoussi, sera sur Arte à partir du 1ᵉʳ décembre prochain. Quelle a été l’étincelle de départ ?
Ce film est né d’une expérience personnelle et m’a fait questionner sur l’amour, le mariage et ses raisons. Ce n’est pas une histoire récente, mais elle m’a fait beaucoup réfléchir. Les parents de ma mère, d’origine danoise, auraient préféré qu’elle épouse le fils du fermier voisin pour mettre les terres ensemble. Mais, dans notre société, on n’est pas habitué au mariage d’intérêt.
Babette, votre personnage, fait de la danse sous le regard avisé et amuseur de Nora (Elsa Wolliaston). Que cherche-t-elle à évacuer, à exprimer ?
Elle cherche à échapper à son propre contrôle. Ça fait vingt ans que je travaille avec Elsa Wolliaston, elle a créé la chorégraphie du film et cette danse en particulier. On peut seulement la faire si on lâche complètement prise, sinon on tombe tout de suite (rires). Elle est difficile à apprendre et ça m’a pris des mois de répétition!
Le film est tourné à Belleville. Quel est le Paris que vous connaissez ?
Je suis arrivée à Paris à l’âge de 17 ans, donc j’ai vécu dans plusieurs arrondissements différents, à Sarcelles et Nogent-sur-Marne. Ça fait maintenant vingt ans que je suis installée à Belleville. C’est un quartier avec une grande mixité. On a un mélange de juifs, musulmans, africains, chinois, français. ça reste un quartier populaire et un quartier d'artiste. Belleville, c’est mon Paris. Je ne peux pas m’imaginer vivre ailleurs à Paris. Je pourrais vivre à Shanghai, à Nairobi, retourner à New York ou Londres, mais tant que je vis à Paris, je reste à Belleville.
Comment fait-on tourner une souris dans un film ?
Ce n’est pas évident ! Je suis habituée à dresser des animaux, des chiens et des chevaux, notamment (rires). Et je pensais pouvoir le faire avec une souris… Pendant la préparation, on a eu du mal à trouver des souris blanches aux yeux noirs. Je voulais éviter les yeux rouges pour la caméra. Il a fallu huit doublures à Maoussi. Parmi elles, une savait courir sur un tourne disque, une autre à grimper sur l’épaule d’un personnage et une autre à courir au milieu de la rue, ce que les souris n’aiment pourtant pas faire. La raison est qu’elles ne voient pas bien, donc elles préfèrent courir le long de quelque chose de vertical. Et puis on ne peut pas maquiller une souris. Dès qu’on met quelque chose sur sa fourrure, elle ne peut plus rien faire, sauf se nettoyer (rires). Merci à Marine Blanchet de les avoir dressés pour le film.
Selon vous, Maoussi est le fruit de leur couple parallèle. C’est-à-dire ?
Edo et Babette ne sont pas seulement un couple de danseurs ou de percussionnistes, ils sont aussi un couple dans la vie. Au départ, ils ne sont peut-être pas faits pour s’entendre, ils ont du mal à communiquer, puis quand cette souris apparaît dans leur quotidien, la problématique de savoir s’ils vont la garder ou la jeter dehors les obligent à communiquer. Elle devient le lien fragile entre ces deux personnages. D’une manière générale, la souris symbolise quelque chose d’indésirable. Dans le film, ce n’est pas le cas. Elle est le miroir d'Edo, chacun a fui quelque chose. La souris, un laboratoire et Edo, la guerre.

Vous êtes à la fois réalisatrice, productrice, scénariste et actrice. D'où vient cette envie de raconter des histoires ?
Je l’ai toujours eu. Adolescente, je m’imaginais être assise dans des cafés comme une vieille dame racontant des histoires (rires). À la maison, on regardait beaucoup de films et vers neuf ans, j’ai vu tous les films d’Ingmar Bergman, dont ce film avec une femme qui se suicide et voit d’une façon cauchemardesque toute sa vie en rétrospective pendant qu’elle est inconsciente. Dans mes hauts et mes bas d’adolescente, je ne voulais pas vivre ça ! (Rires)
Qu'avez-vous appris aux Beaux-Arts ?
Déjà, je dessinais depuis toute petite et je me faisais toujours engueuler à l’école car je dessinais pendant les cours (rires). Ça ne m’empêchait pas de suivre et certains profs me laissaient faire. C’était donc assez naturel pour moi d’aller aux Beaux-Arts. J’étais dans une section sur la peinture à l'huile avec un professeur excellent. Il nous en apprenait beaucoup sur la rencontre et la tension entre les couleurs. Je suis très sensible à ça.
Vous créez vos propres pièces de danse-théâtre burlesque à Paris, puis à New York, à Toronto et à Londres. Quelles images vous reviennent de ces premières créations artistiques ?
Oui ! J’ai commencé à travailler ces pièces dans lesquelles je mélangeais danse, chant et théâtre, à Paris. Puis j’ai fait une tournée en Amérique du Nord et j’ai atterri à New York et décidé d’y rester trois mois pour être comédienne. Finalement, j’y suis restée dix ans. Je me suis procuré un permis de travail et entre-temps, je travaillais sur des scènes underground, de cabarets et de burlesques. On était au début des années 2000 et je ressentais un décalage entre le burlesque américain et moi. J’ai grandi au Danemark et nous sommes assez libres sur la nudité. Ça ne nous impressionne pas. Pourtant, ça m’étonnait de voir aux États-Unis des femmes avec des chaînes attachées sur les seins et les tourner très vite. Tout le public masculin était complètement fou dans la salle.

Quels sont vos prochains projets ?
Je travaille sur une série de quatre ou six épisodes basée sur Maoussi. Et je travaille également sur un drame familial qui se passe au Danemark. Ce sera tellement absurde que ça en deviendra comique. Je souhaite continuer dans ce genre. C’est ma façon de m’exprimer, d’aborder des sujets graves sans diviser.
Pour conclure cet entretien, auriez-vous une citation fétiche à me délivrer ?
Oui, c’est d’un poète danois : « Il ne faut pas avoir peur de la peur. Ce qu’on s’imagine est toujours pire que la réalité. »



