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Cybèle Villemagne : "C'est plus poli de faire rire les gens."

Si l'on devait dessiner la trajectoire d'une passion qui mène à l'accomplissement, Cybèle Villemagne serait le modèle à suivre. Sa fascination précoce pour la comédie et le pouvoir des récits l'accompagne au quotidien, la poussant à explorer divers moyens de raconter des histoires : le jeu, l'écriture et la réalisation. Rencontre.


© Marie Le Grévellec

« Cybèle, tu incarnes l’une des trois sœurs dans le premier film de Thierry Terrasson dit JIM, Belle enfant, actuellement projeté en festivals et en avant-premières dans toute la France et qui sort le 24 juillet au cinéma. Quelle présentation ferais-tu de ton personnage ?

C’est une jeune femme qui se sent terriblement seule et souffre beaucoup de ne pas connaître son père. Elle cherche à fuir cette solitude par tous les moyens, de façon un peu compulsive. Elle est très attachée à ses sœurs, les seules personnes sur qui elle peut compter. Leur mère est un électron libre, elle n’a rien construit sentimentalement dans sa vie. Mon personnage a peur de sombrer et pour ça, elle se maintient dans une énergie joyeuse, lumineuse et ne veut surtout pas tomber dans la tristesse et la nostalgie. Elle ne veut pas montrer ses failles et ses moments de down. 


Qu'est-ce qui t'a séduite à la lecture du scénario ? 

Il m’a bouleversée, ça m’a parlé de façon très personnelle. J’ai deux sœurs et je suis aussi celle du milieu, nous étions fusionnelles dans notre enfance. J’ai aimé cette réflexion : que faire à l’âge adulte, quand on a laissé les liens se distendre ? Les membres de notre famille peuvent-ils devenir des étrangers ? Il y a une petite partie road-movie où l’on découvre la qualité du lien des trois sœurs, l’intimité qu’elles retrouvent immédiatement. J’aime leur manière de se taquiner et d’entrer brutalement dans le vif de chaque sujet, sans prendre de pincette. Pour moi, c’est ça l’intimité, c’est l’absence de « pincette » ; c’est à ça qu’on sait qu’elles sont sœur. Et puis j’adore le personnage de la mère, sa dureté, la relation mère/fille me passionne. J’aime ces personnages ambivalents. Je la trouve aussi fascinante que glaçante. Chez elle, il n’y a pas de places pour ses filles. Je me suis raconté qu’elle n’a pas décidé d’être mère, on le comprend en voyant sa jeunesse fêtarde et débridée.



Le film nous emmène de Paris jusqu’en Italie. Quelles images te reviennent du tournage ?

En Italie, nous avons tourné à Zoagli, près de Portofino. C’était magnifique. Les paysages participent beaucoup à la beauté du film, ils le portent. Les moments d’improvisation quand JIM laissait tourner sa caméra à la fin des scènes étaient précieux et stimulants.


Le réalisateur, Thierry Terrasson, est connu sous le nom de JIM quand il signe ses bandes dessinées. Que connaissais-tu de son travail ? 

J’aime beaucoup la BD, mais je ne connaissais pas Jim. J’ai découvert son travail quand il m’a contactée pour me proposer ce rôle. Je suis très sensible à son univers, il a une approche tout en délicatesse et en nuances, il y a de la pudeur et du panache chez ses personnages aussi bien dans ses BD que dans ce premier film. Il nous a dirigés de façon très instinctive, avec douceur et humilité. C’était passionnant de travailler avec lui car Jim est très ouvert. Certaines répliques du film sont d’ailleurs issues de nos propositions lors de répétitions et de nos discussions.



Le grand public a pu te découvrir au cinéma, mais aussi sur le petit écran et au théâtre. Comment est né ton désir de devenir comédienne ?

À cinq ans, j’adorais les westerns ! J’ai vu Les Pétroleuses, qui s’il n’était pas d’une grande qualité, avait l’avantage de mettre en scène des personnages féminins. En le voyant, ça a été un déclic. Cette envie de jouer ne m’a jamais quittée. Ce qui m’importe le plus, c’est de raconter des histoires par tous les moyens : le jeu, l’écriture, la réalisation. Ce sont les trois stylos que je tiens dans ma main.


Après l’obtention de ton bac avec tout juste la moyenne, tes parents sont d’accord pour que tu t’inscrives au Cours Périmony…

J’y ai passé trois ans et fondé ma famille de théâtre. Je suis allée dans cette école avec l’énergie du désespoir. Je pensais qu’il n’y avait pas de place pour une fille comme moi, qu’il fallait être née de parents déjà dans ce milieu. Et puis quand j’ai commencé les cours, j’étais si passionnée que j’aurais été incapable de m’arrêter. J’ai le privilège de gagner ma vie depuis longtemps en faisant ce métier, mais au début, j’ai frappé à toutes les portes et un peu comme Jean-Claude Duss, j’ai oublié que je n’avais aucune chance et j’ai foncé.


Tu as commencé à travailler à l’âge de 20 ans, puis direction les États-Unis et le Terry Schreiber studio à New-York. Qu’as-tu appris ?

C’était un hasard et un coup de bol. À l’époque, c’était la mode des échanges de maison ou d’appartement. Je cherchais à échanger mon logement contre un logement aux États-Unis pour y aller avec ma mère et mes sœurs pour perfectionner notre anglais. Des personnes proposaient un appart’ à New-York. Ils avaient une école de théâtre et m’ont pris en stage en échange d’un logement dans le sud de la France. Et au final, ils m’ont littéralement adoptée puisque j’y suis retournée inviter l’été suivant. En France, on a un système d’éducation basé sur l’humiliation, et ce dès l’école primaire. On souligne tout ce qui est raté, on entoure en rouge ce qui est mauvais, on compte les points en moins, on focalise sur tous les défauts. Aux États-Unis, c’est tout le contraire. Ils passent leur temps à valoriser les forces et les qualités. J’avais 21 et 22 ans quand j’y suis allée, avec une estime de moi un peu concave et un anglais parlé avec un accent français épouvantable. À une audition en début de stage, j’ai joué des scènes de Tennesse Williams et les profs se sont enthousiasmés. Ils m’ont proposé de participer à tous les cours que je voulais, ce que j’ai fait chaque jour, chaque semaine. Cette expérience m’a porté. L’approche de l’école américaine, plus encourageante, m’a fait un bien fou et m’a permis de poser une première pierre sur le chantier de la confiance en moi. 


Ensuite, tu as enchaîné avec des rôles récurrents dans des séries d’humour comme Groland, WorkinGirls, Opération adrénaline ou encore Séance interdite. J’ai lu que l’humour était ta pudeur, c’est-à-dire ?

Je suis quelqu’un de très sensible, je peux pleurer plusieurs fois par jour. C’est quelque chose que j’ai beaucoup refoulé plus jeune, par honte d’être comme ça, à fleur de peau. Je compense avec un personnage de pitre, j’ai l’impression que c’est plus poli de faire rire les gens, que de leur montrer qu’on a la larme à l’œil. Boris Vian a dit « l’humour, c'est la politesse du désespoir. » Par exemple, je ne trouve pas émouvant un comédien, dans une scène d’émotion, qui va aller chercher les larmes. C’est plus touchant, dans la vie ou à l’écran, quand une personne essaie de tenir le coup. J’adore les personnages qui tiennent le choc et essaient de rester dignes. 


On retrouve de l'humour noir avec la mini-série Mes dernières Volontés que tu as réalisée et qui est disponible sur ta chaîne Youtube (Cybèle Villemagne NDLR), dont l'univers est inspiré d'Alice au pays des merveilles... 

J’ai longtemps porté ce projet avant de trouver le bon format. J’ai d’abord hésité à en faire un seul-en-scène, puis c’est devenu des épisodes de série. J’ai obtenu l’aide à l’écriture et au développement de la part du CNC qui m’a permis d’être soutenue pour la première fois dans la réalisation (jusque-là, j'étais en auto-production) et d’accéder à des comédiens comme Claude Perron ou Albert Delpy. C’est une expérience fabuleuse de voir ses personnages prendre vie et que tous les comédiens et techniciens dont j’avais rêvé me disent oui et acceptent de porter une partie de l’histoire. C’est tellement galvanisant quand une équipe croit en votre projet ; ça fait pousser des ailes et donne beaucoup d’énergie. Je suis très heureuse du résultat. 




Ton premier court-métrage, Le mec de mes rêves, a eu un beau parcours en festivals… 

Ça a été un sacré encouragement… Mais aussi beaucoup de travail. Pour qu’on me respecte en tant que réalisatrice malgré mon inexpérience, je me suis imposée jusqu’à 14h de préparation par jour avant le tournage. Le mec de mes rêves a été un rouleau compresseur émotionnel. Commencer la réalisation avec autant de personnages, un chien et une poursuite en voiture, c’était un peu au-dessus de mes forces mais tellement excitant ! 


Être derrière la caméra et à l'écriture, c'est quels exercices pour toi ?

Tout me passionne dans la réalisation, du décor au son, de la musique aux costumes. Il n’y a pas un aspect dans la fabrication d’un film que je trouve ennuyeux ou moins important. Cette attention sur chaque détail est indispensable. 



Au théâtre, le public a pu t'applaudir dans Orgasme adulte échappé du zoo, Shopping and fucking, L’illusionniste ou encore dans Un baiser s’il vous plait. Quel est ton rapport avec la scène et le jeu sur les planches ? 

Ce n’est pas du tout la même sensation que de tourner devant une caméra. C’est comme si on était dans un toboggan avant le début de la pièce et qu’on ne pouvait plus faire marche arrière. On est lancé à toute vitesse et quoi qu’il arrive, pendant une heure et demie, plus rien ne peut arrêter le spectacle. Un décor s’effondre ou un comédien oublie de mettre son costume, ça continue. Sur un tournage, on s’applique à tourner une scène jusqu’à ce qu’elle soit la plus parfaite possible, ce qui nourrit mon côté obsessionnel. Le théâtre, c'est le grand huit. J’ai déjà joué en étant malade, mais une fois sur les planches, je ne sentais plus la température. C’est assez dingue comme expérience. 


Quels sont tes prochains projets ?

J’ai plusieurs projets en écriture. Un court et un long-métrage adaptés de Mes dernières volontés et un documentaire. Je suis récurrente dans une saga publicitaire à la télé et à la radio. Je donne également des cours de théâtre à des adultes amateurs ainsi qu’à des jeunes en réinsertion professionnelle. Je suis heureuse de faire découvrir le théâtre à un public qui n’a jamais eu la chance d’approcher cette discipline.


Pour conclure cet entretien, aurais-tu une citation fétiche à me délivrer ? 

J’en ai une de mon cru (rires). « Il ne faut jamais viser la poubelle, sinon on est sûr d’atterrir dans le caniveau. » Plus sérieusement, je me suis sentie incapable à chaque nouvelle expérience et pourtant, à chaque fois que j’ai osé me lancer et travaillé dur, j’ai réussi. La morale de tout cela : « Saute et le filet apparaitra ! »


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