Edwart Vignot : "Je suis un flâneur invétéré."
- Samuel Massilia

- 24 sept.
- 15 min de lecture
Chez lui, l'œil se fait capteur du quotidien. Edwart Vignot, historien d'art, a construit son parcours au croisement des musées et des rencontres, avec pour fil d'Ariane l'inattendu, l'émerveillement et la transmission. Il y a chez Edwart une volonté d'ouvrir l'art à toutes les voix, de décloisonner l'histoire et ses institutions pour la rendre vivante, accessible. Sa parole se nourrit de références et se déploie avec simplicité. Rencontre avec un homme qui vit l'art comme une conversation ininterrompue avec le monde.

« Edwart, on réalise cet entretien au café Le Nemours, place Colette, à côté de la Comédie-Française et non loin du Louvre. Que vous inspire ce lieu ?
J’ai l’impression d’être un vieil artiste en côtoyant ce café mythique. Je suis arrivé à Paris en 2000 et ça fait vingt-cinq ans que je viens, presque quotidiennement, au Nemours. Comme je suis quelqu’un qui aime le changement, la rencontre et les gens, il m’arrive de prendre trois cafés dans la même matinée, dans trois endroits différents, pour démultiplier les aventures. Cette brasserie est à mon avis l’un des centres névralgiques de Paris. On a la quintessence de tout un pan de l’histoire de l’art universelle avec le Louvre et le Palais Royal, à deux pas. Et comme me le disait un ami, le 1er arrondissement, on a du mal à le quitter. J’ai dû déménager avenue d’Opéra au quartier du Palais-Royal, où l’on est presque à l’abri du temps et de la fureur de la ville.
Vous arrive-t-il de flâner dans les rues de la capitale et de faire de nouvelles découvertes historiques ?
Je suis un flâneur invétéré. J’ai toujours en mémoire l’introduction d’un livre consacré à Meissonier et écrit par Jacques Thuillier : « On n’imagine pas qu’en France, et à Paris en particulier, il suffit de lever les yeux pour être comme dans un musée à ciel ouvert. » Comme il a raison ! Vous avez des jardins, des églises, des sculptures d’ornements et des immeubles dont les façades sont signées des plus grands architectes. On est dans l’immersion totale de ce que peut être l’art pour tous.
© Edwart Vignot / Instagram
À regarder vos publications sur Instagram, on remarque que vous aimez capturer les petits moments du quotidien...
L’intérêt est de faire des photos avec l'iPhone, qui est comme un revolver, prêt à être dégainé. Parfois, j’en rate, car je n’ai pas été assez rapide ou ce satané appareil a des problèmes pour s’ouvrir. J’avais été très bienveillant à l’égard d’Anne Hidalgo, la maire de Paris, en disant que la ville n’était pas sale mais bavarde, et me permettait de photographier un papier chiffonné au sol car la ville n’était pas encore débarrassée de tous ses détritus. Ces déchets deviennent finalement extrêmement créatifs et apportent de l’eau à mon moulin.
Vos photos sont souvent accompagnées de jeux de mots...
Oui, j’essaie quand l’inspiration est là (rires). C’est l’art de la création et de la récréation. Léonard de Vinci était un grand adorateur du ciel et des cieux, et s’amusait à regarder les nuages. Quand je suis en vacances et qu’en ouvrant ma fenêtre, je vois un ciel tout bleu sans nuages, je me dis que cette journée ne va pas raconter grand-chose. Et comme je suis un grand fanatique de John Constable, les nuages et moi font deux... ou cieux.
© Edwart Vignot / Instagram
Vous êtes assez attaché aux moments éphémères de la vie...
Pour moi, la valeur d’une photo se trouve dans l’intention. J’ai été assez meurtri quand j’ai découvert que Le baiser de l’hôtel de ville, de Robert Doisneau, était une photo posée. Ça m’a fait vraiment beaucoup de peine. J’étais intimement persuadé que c’était la plus belle photo du monde. Aujourd’hui, elle n’a plus du tout la même valeur à mes yeux.
À quel moment avez-vous su que vous alliez consacrer votre vie à l’art ?
Depuis tout petit. Ça peut paraître idiot mais j’avais fait cette remarque à ma mère quand j’avais six ans : « J’aimerais bien écrire des livres pour enfants. » Comme j’en étais un, je pensais pouvoir faire le job. Puis, vers mes douze ans, en voyant Jean Rochefort, je me suis dit qu’un jour, j’écrirai un livre sur le cheval avec lui. J’aime bien donner corps à mes idées. Comme rencontrer Woody Allen, ce qui a été fait dans des conditions de rêve, ou de vouloir tourner avant 40 ans dans un long-métrage avec un acteur connu, je l’ai fait à 37 ans. Et puis, il y a les rêves inassouvis. J’aurais adoré écrire un livre sur les collections de Buckingham Palace avec la reine d’Angleterre et un autre avec le Pape François sur les collections du Vatican.
À partir de quel âge avez-vous commencé à fréquenter les musées ?
Je viens d’un milieu totalement éloigné du monde de l’art et ma formation d’histoire de l’art, je me la suis faite en autodidacte. Je quittais le lycée Henri Poincaré où ma mère s’occupait du service médical, et j’allais, dès l’âge de neuf ans, au Musée des Beaux-Arts de Nancy, admirer pendant des heures La bataille de Nancy, de Delacroix. C’était assez magique. J’avais l’impression d’être le propriétaire des lieux. Ma mère recevait souvent un coup de fil du musée : « Madame, votre fils est là, il faut venir le chercher. On va fermer. » Je recevais des cartons d’invitation à mon nom, j’avais dix ans. Je mettais ma cravate avec un élastique et j'y allais tout seul. Souvent, le maire de l’époque, André Rossinot, avait un petit mot à mon égard : « Nous remercions notre fidèle et préféré visiteur. » J’ai plusieurs anecdotes touchantes avec lui. Pour les 20 ans de la réouverture du Musée des Beaux-Arts, après travaux, en 2019, j’ai reçu une commande officielle en tant qu’artiste. Finalement, je n'ai pas livré une œuvre, mais une cinquantaine. La boucle était bouclée. Avec l’installation « Entrer dans l’histoire(s) », j’ai demandé à Jean Nouvel de me prêter 300 000 galets couleur rubis, pour en faire un lac gelé de larmes de sang qui évoquent La bataille de Nancy.

À dix ans, on n’a pas réellement la capacité de comprendre toutes ces œuvres...
C’est ce qui est intéressant. Quand je faisais des visites guidées pour les plus petits, à Strasbourg, c’était génial de les faire parler. Devant Samson et Dalila - le tableau du Guerchin - ils me disaient voir un type fatigué, un peu fainéant, qui se fait couper les cheveux par sa petite copine et qu’il y avait deux clients (des philistins) qui attendaient également une coupe. Et ils avaient raison, car à ce moment-là, ils n’ont pas les clés. Les enfants n’ont pas lu toute la mythologie, l’Histoire, l’Ancien et le Nouveau Testament. Il n’y a pas de sachant ou de non sachant. J’aimais beaucoup faire ces visites pour des personnes qui n’y connaissaient rien ou pas grand-chose, à l’inverse d’une discussion que j’ai eue dans une soirée mondaine où le type en face de moi m’avait dit ne faire que des visites aux gens de son niveau. J’ai trouvé cette approche à la fois stérile et prétentieuse.
Vous avez fait des études d’art et de publicité, obtenu un DEA d’histoire de l’art, puis vous êtes formé chez Christie’s, à Londres. Qu'avez-vous appris ?
Que je n’étais pas du tout fait pour être corporate, mais totalement indépendant. Je le dis avec sincérité, l’argent est un mauvais maître et il faut savoir le mater. J’ai refusé, au grand dam de ma mère, des offres de job très bien rémunérées mais dont je savais qu’à court-terme, ça allait m’apporter de la tristesse, du désespoir et une espèce d’ennui abyssal. Le fait d'accumuler de l'argent ne sert à rien, je préfère mille fois être dans une chambre de bonne à Paris. L’argent n’est pas une fin en soi, ça libère et permet certaines choses, mais ça contraint également. J’ai déjà refusé une offre qui disait : « Voilà un poste que vous ne pourrez pas refuser. » L'ennui est un démon. Une fois, cet ennui, je l’ai volontairement convié et subi (ça m’a fait manger des gâteaux que je déteste, les Chamonix abricot, une horreur). L'ennui est un sentiment particulièrement détestable.

À l’âge de vingt ans, vous devenez concepteur-rédacteur d’une importante agence dans l’est de la France. Comment ça s’est présenté ?
À l’origine, j’ai été engagé sur un « bien-entendu ». Je cherchais depuis longtemps à travailler dans la publicité. Étant, je crois, assez malin, je m’étais assis en face des bureaux de cette agence, avenue de La Marseillaise, à Strasbourg, et lorsque j’ai appelé pour solliciter un entretien, on m’a répondu cette phrase que j’attendais : « Venez tout de suite. » J’ai traversé la rue et ils m’ont expliqué que l’agence allait quitter un appartement de 240m2 pour un nouvel immeuble créé par Gomez, un architecte de renom. Ils voulaient l’annoncer dans la presse et m’ont fait comprendre qu’ils m’embaucheraient si j’arrivais à créer une publicité suffisamment explicite. J’ai alors fait un visuel simple, avec le nouveau bâtiment et une phrase écrite en dessous : « L'agence Anstett passe de 240m2 à 750m2, visiblement les bonnes idées prennent de la place. » C’était gagné. Je voulais continuer l’histoire de l’art et ils ont accepté que je sois à mi-temps. Dans cette agence, j’étais en compétition permanente avec le directeur artistique. Moi qui adore travailler dans la joie et la bonne humeur, lui voulait toujours faire cavalier seul, ce qui m’a profondément agacé.
Avez-vous le souvenir d’une rencontre dans la publicité ?
Oui, celle de Tomi Ungerer, pour moi l’un des plus grands créateurs du XXe siècle. C’était une star en Allemagne, il vivait en Irlande et était peu connu en France. En tant que commissaire, il m’a permis de faire ma première exposition, en me prêtant les dessins très précieux de The Party, un livre mythique des années 60 qu’il avait créé à New York.
En 1998, vous vous installez à Londres. Comment était la vie dans la capitale anglaise ?
Je bossais beaucoup et je n'avais pas opté pour les stages très coûteux de Christie’s Education. J’y ai été embauché comme simple stagiaire, « intern » en anglais. Je suis resté à Londres de février à décembre 98. Je n’avais pas la télé, mais qu'une seule fréquence radio, France Culture. Tout ce qui s’est passé en France cette année-là, je n'ai rien su, jusqu’à apprendre même la mort du sculpteur César à mon retour, en lisant Beaux-Arts dans l’Eurostar, en décembre 98, alors que j’avais décidé de lui remettre, dans les prochaines semaines, une pellicule photo de lui en vacances que j’avais trouvée par hasard rue du Cherche-Midi un an plus tôt.
À Londres, j’avais la chance d’habiter Royal Crescent, juste à côté de Holland Park, où se trouvait le petit Kyoto Garden, absolument ravissant, près d’une cafétéria typiquement anglaise. Ça n’avait le goût de rien, si ce n’est le goût de l’Angleterre. La vie londonienne était géniale, intense et extrêmement coûteuse, comme cette impression de revenir au 19e siècle, à savoir que sans argent on vit quasiment à la rue. Je me souviens de la cafétéria de Chez Christie’s (qui n’existe plus) tenu par un couple vraiment sympathique. Ils connaissaient un peu ma vie et très gentiment, ils me préparaient des repas pour le soir, servis dans des tupperwares. Ce lien humain était superbe. De cette expérience, j’ai écrit un spectacle, Ex-fan de Christie’s, sur les pérégrinations d’un stagiaire parlant à peine anglais dans l’univers compétitif londonien. J’aimerais bien demander à Florence Foresti si elle avait la gentillesse de me mettre en scène.
Le rapport à l'art est-il différent par rapport à la France ?
J’aime bien l’idée de la culture pour tous. Par exemple, à Londres, si on a cinq minutes devant soi, on peut pousser les portes tambour de la National Gallery et se retrouver devant La Vénus à son miroir, de Velázquez, sans guichet, rien, en à peine une minute. À Paris, pour voir La Joconde au Louvre, c’est une autre histoire.
Vous avez publié plusieurs livres dont certains sont coécrits avec Florence Foresti, Louise Bourgoin, Jean Rochefort, Serge Moati, Arlette Sérullaz, Stéphane Bern. Comment se sont articulées ces collaborations ?
Je ne me sentais pas la légitimité et le talent suffisants pour écrire un livre seul. Au début, l’écriture était très douloureuse pour moi. Je me suis alors abstenu. Et puis un jour, en 2007, est venue cette idée du bestiaire d’Eugène Delacroix, co-écrit avec Arlette Sérullaz, directrice du département des dessins du Louvre, et ça a été une espèce de révélation. Trois ans après, j'ai rencontré Jean Rochefort et me suis rappelé cette idée de livre sur le cheval. Je l'ai soumis à une éditrice, ça a marché et un début de collection est né : celui d’écrire avec une personnalité connue dans un domaine qu’il maîtrise bien. Louise Bourgoin a fait les Beaux-Arts. Je l’ai rencontrée dans une loge d’artiste après un spectacle. Elle avait quitté la météo depuis quelques mois et venait d’avoir son premier rôle au cinéma, dans le film d’Anne Fontaine, La fille de Monaco, avec Fabrice Luchini. Je me rappelle lui avoir d’abord proposé une chronique s’appelant « MetéArt », la météo des expositions, mais elle voulait passer à autre chose, et comme elle avait raison ! Le livre s’intitule Orsay mis à nu. Un beau livre, l'un de mes préférés.
Le troisième livre, c’était avec Florence Foresti. Pour la petite anecdote, j'étais inscrit à la comédie de Lorraine, à Nancy, j’avais accédé à une année de Conservatoire et fait quelques mois au Cours Florent. J’avais, c’est vrai, cette idée de velléités d'acteur. Un jour, une amie réalisatrice m’a fait passer un casting sans me le dire et m’a ensuite embauché dans son film avec Marc Lavoine, Carole Bouquet et Florence Foresti. Les scènes avec cette dernière ont été coupées au montage, mais je me suis très bien entendu avec elle, c’est une personne humble et curieuse. Je me souviens lui avoir écrit un message, des années plus tard, sur ma volonté de travailler ensemble, mais je ne pensais pas cela réalisable pour manque de temps. Et à ma grande surprise, elle m’a répondu que pour la première fois de sa vie, elle avait trois mois sans activités. On a donc fait le bouquin. Plus tard, quand j’étais président des amis du musée Rodin, j’ai adoré faire le livre Une pensée pour Rodin, pour lequel j’ai demandé à un collège de 33 personnalités d’aujourd’hui d’évoquer leur lien avec le sculpteur pour l’hommage rendu à l’occasion du centenaire de sa mort. Parmi eux, Isabelle Adjani, François Berléand, Julien Clerc et d’autres. Ce livre devrait, je l’espère, être prochainement adapté au théâtre Hébertot.
© Edwart Vignot / Instagram
Comment est venue l'idée du court-métrage l’Œil du Tricycle avec Jean Rochefort ?
C’était une vraie étincelle de départ, à l’instar d’un ami, fils du professeure d’anglais de mon ancien lycée, qui avait eu, lui aussi, un problème de compréhension. Un jour, petit, à l’église, il fut surpris de ne pas voir les gens se lever pour asperger de bombes insecticides les personnes présentes car il avait compris « Little spray » au lieu de « Let us spray ». Il m’est arrivé la même chose en visionnant à la télévision l’entrée au Panthéon des cendres de Jean Moulin et du discours lu par André Malraux, ayant entendu « En tricycle, Jean Moulin » au lieu de « Entre ici, Jean Moulin. »
En 2015, vous dévoilez enfin votre travail en tant qu’artiste plasticien, théoricien et vidéaste. Quel a été le déclic ?
Je suis né, officiellement, en tant qu’artiste le 6 décembre 2015, à 18h, suite à une conversation avec le galeriste Florent Maubert, l’année même de l’exposition de mes photos chez Zlotowski. J’ai toujours voulu créer. J’ai fait des études d’arts plastiques, j’avais de très bonnes notes au bac et j’étais dans un univers où j’aimais mieux le Nouveau Réalisme qu'autre chose. Et bien des années plus tard, dans un train pour aller au Château La Dominique, pour exposer une de mes œuvres, Le rouge des villes et des campagnes, de Guillaume de Sardes, j’ai reçu le coup de fil du musée des Beaux-Arts, à Nancy, m’annonçant la commande d’une œuvre d’art pour les 20 ans de leur réouverture. En arrivant à Saint-Émilion, il m’est venu une idée, celle de travailler en utilisant La bataille de Nancy, œuvre dans laquelle la jambe arrière du cheval est quasiment aspirée par l’angle inférieur gauche du tableau. Ce sont les derniers instants de Charles Le Téméraire, touché jusqu’au sang, et qui s'évacue par cette sortie. En ces jours d’hiver extrêmement froids, le sang devait ainsi se transformer irrémédiablement en lac gelé de larmes de sang. Les nombreuses tonnes de galets, vu au Château La Dominique ce jour-là, m'ont permis de créer cette œuvre. Merci Jean Nouvel !

Ce que j’aime beaucoup dans votre parcours, c’est votre envie de transmettre toutes vos connaissances sur l’histoire de l’art. Pendant quatre ans, vous teniez la chronique Hors d’œuvre dans l’émission Un soir au musée, sur France 5. La télévision, ça a été quel exercice pour vous ?
Je n’ai jamais eu autant le trac de ma vie pour la première émission. C'était dans une chapelle reconstituée du musée des Monuments français. Ma chronique était hors de tout et consistait à faire un arrêt sur image d’une œuvre que j’avais choisie de manière totalement arbitraire, selon mes propres goûts, et j’en parlais pendant environ deux minutes trente. Je ne sais pas si j’ai été bon, mais en tout cas, j’ai été sincère. Les émissions avaient lieu à Paris ou en province, voire à l’étranger, et des voyages étaient organisés, mais comme j’avais une peur bleue en avion, j’ai raté des destinations comme Rome, ce qui m’a valu d’être assez mal vu de la production. La télé m’a fait entrer dans un monde de rêves et un monde de cauchemars. Comme je connaissais le président de France Télévision de l’époque, Patrick de Carolis, je ne savais pas qu’il m’avait "littéralement" imposé à la production. Et c’est tout naturellement que lorsqu’il a quitté ces fonctions, j’ai été viré du jour au lendemain. Ça m’a beaucoup peiné. J’ai l’air un peu naïf, mais je ne suis pas de ce monde-là, dans lequel il n’y a pas une once de sincérité, ou alors très peu. Pour tout vous dire, une fois, j’avais réussi à me faire inviter à l’avant-dernière émission de Bernard Pivot avec un projet culturel en poche. Je l’ai approché et plus je discutais avec le célèbre animateur, plus mon poing écrasait le projet au fond de ma poche. J'avais le mauvais interlocuteur en face de moi. Aujourd’hui, pour moi, il n’existe toujours pas d’émission sur le thème de l’art digne de ce nom, alors qu’on est l’un des pays les plus riches culturellement, si ce n'est le plus.
En 2005, vous êtes fait Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, puis en 2016 vous êtes fait Officier. Que représentent pour vous ces distinctions ?
Chevalier, ça ramène à un univers enfantin. Le plus fort était d’apprendre qu’il ne s’agissait pas seulement d’une nomination mais d’une recommandation dû à un bon nombre de personnalités ayant écrit à mon sujet pour constituer le dossier. La remise officielle s’est faite au musée Delacroix, avec une quarantaine d’invités. Parmi eux, l’ancien ambassadeur de Russie à Paris, devenu par la suite le Ministre de la Culture russe, qui m’a permis de faire ce voyage insensé en Russie pour mes 40 ans. Le premier soir, en arrivant à Moscou (il faut une à deux heures pour traverser la ville à cause des embouteillages et 25 minutes avec des motards et des gyrophares, ce qui fut mon cas) nous avons passé la soirée dans la loge présidentielle dans le nouveau Bolchoï, afin d'assister à la représentation du Bateau Pirate, d’une durée de trois heures avec deux entractes... le rêve.

Que pensez-vous de la place de la culture et de l'art en général dans les écoles et auprès des publics moins avertis ?
Je ne comprends pas pourquoi, à l’école, il n’y a pas plus d’initiations à l’histoire de l’art, même si je pense qu’il y a une véritable volonté politique derrière ça. L’ouverture à l’art et à la création rend curieux, et la curiosité est pour moi l’une des portes de la tolérance. En ce moment, il y a non-assistance à citoyen en danger. La France a un avantage géographique, comme le disait un géographe du début du 20e siècle : « Prenez la carte de France et voyez comment elle est découpée. » Elle est au bout de l’Europe et elle bénéficie de tout ce qu’on peut imaginer de beau, c’est-à-dire les montagnes, les plaines, les lacs, les mers intérieures et extérieures. En France, il y a tous les panoramas. Pour revenir aux visites que j'effectuais, j'avais un protocole vis-à-vis des classes. Je recevais les gamins et comprenais qu’ils venaient pour la première fois. Ça peut être déstabilisant et je leur ai demandé de me faire confiance pour ne pas passer à côté de quelque chose. Et j’ai toujours fait un carton plein. Mon plus beau diplôme est cette lettre écrite par une classe de CM1, signée par tous, avec des couleurs différentes. J’ai demandé aussitôt l’envoi d’affiches et de cartes postales à l’école en guise de remerciement. L'école a ce rôle à jouer. Plus on est lettré, plus on a de vocabulaire et moins on sera violent. Pourquoi ? Parce que quand on en arrive aux mains, ça veut dire qu’on n’a plus les mots pour résoudre un problème. Rien n’est plus juste que la phrase de Victor Hugo : « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons. » Tout est une question d’éducation.
Quel regard portez-vous sur l'intelligence artificielle et son utilisation dans la création artistique ?
Pour moi, c’est de l’imagination pour les cochons. Ce qui est beau, c’est le temps de la fabrication. Il n’y aurait pas de Salvador Dali avec l’intelligence artificielle. Lui a pris le temps, avec son pinceau à trois poils, pour peindre de manière géniale et inventer le surréalisme. L’IA donne la capacité à tous les gens d’être « le nouveau Picasso », simplement en donnant un ordre avec la parole. Je suis aussi atterré de voir que ça coûte énormément en eau pour produire tous ces films d’accidents de fêtes foraines ou d’animaux monstrueux que l’on voit sur les réseaux sociaux. Je suis pour un usage raisonné de l’IA. Il faut encadrer cela le plus vite possible.
Quels sont vos prochains projets ?
Une exposition de mes photos est prévue pour mi-novembre jusqu'à fin décembre, à la galerie Stanislas, à Nancy. J’ai également des possibilités pour en faire d’autres à Paris et à Londres. Et quelques commissariats possibles avec de nombreux artistes en France et à l’étranger.
Pour conclure cet entretien, auriez-vous une citation fétiche à me délivrer ?
« Je préfère les belles incertitudes aux ennuyeuses évidences. » En tant que collectionneur de dessins, je préfère acheter un dessin anonyme génial plutôt qu’un dessin banal d’Ingres ou de Delacroix, ou de quelque grand artiste quel qu’il soit. Avec quelques euros, on peut se faire plaisir, et même parfois gratuitement, en ramassant par terre un bout de papier froissé qui devient, avec votre imagination, un éléphant en pyjama rose et rayé. »
































Commentaires