Manon dans Envole-moi, tante de Marcel Pagnol dans le très réussi Le temps des secrets, Gwendoline Doycheva est l'un de ses nouveaux visages dont le cinéma Français ne pourra se détacher. De son initiation au métier d'acteur à sa tendresse pour les planches et son désir de création, Gwendoline s'exprime avec un phrasé affirmatif et remplie d'ambitions. Rencontre avec Gwendoline Doycheva, vivre et inventer !

« Gwendoline, on vous retrouve dans le film Le Temps des secrets de Christophe Barratier dans lequel vous incarnez la tante Fifi. Qu'est-ce qui vous a enthousiasmé dans ce projet ?
Quand j’ai lu le scénario, j’ai vu tout de suite en quoi Fifi pouvait résonner particulièrement en moi. Cette propension à vouloir écarter l’étau de la domination masculine, ce besoin de revendiquer ses propres réflexions, une certaine forme de dignité personnelle et surtout la volonté d’égalité dans la liberté d’expression. D’expérience, je comprends très bien ces sentiments d’injustice et d’emprise contre lesquels elle lutte avec ferveur. Fifi a besoin d’être entendue. Elle ose rêver et s’impliquer en grand. Elle est l’exact inverse de la résignation et de la soumission et c’est pourquoi elle fascine et on l’écoute. J’aime beaucoup ce type de personnage engagé et disruptif. J’étais contente de pouvoir jouer cette partition.
Comment présenteriez-vous la tante Fifi ?
Dans les souvenirs de Marcel Pagnol, Fifi est « une femme de bien, ce qui ne l’empêche pas d’être belle et de sentir bon », c’est déjà pas mal ! Ce qui est admirable avec elle, c’est qu’elle faisait la fierté des siens malgré des prises de position absolument anticonformistes. Elle avait certainement des comptes à régler mais elle s’est servie de sa vivacité d’esprit, son éducation et son charme pour les transformer en causes politiques et en discours d’influence. C’est une femme résolument tournée vers les autres et vers l’avenir. Ce n’est pas évident pour une jeune femme d’avoir du crédit dans un système organisé par et pour les hommes, il lui a fallu sans doute beaucoup de courage et un caractère hors norme.
Jusqu'au 5 juin, les amoureux de cinéma et de Marcel Pagnol pourront découvrir l'exposition du film à la Friche de la Belle de Mai à Marseille. Gwendoline, que représente pour vous l'univers pagnolesque ?
Avant tout une grande œuvre littéraire. Après, ce n'est pas facile de faire l’apologie d’un grand auteur. Parce qu’on se retrouve à décrire les mots de quelqu’un avec des mots moins bien que les siens. Spontanément pour moi, l’univers Pagnolesque, c’est une vision, c’est Manon des sources par exemple. La puissance de son talent c’est d’avoir cette capacité d’inventer un personnage qui reste dans les mémoires collectives, qui touche à quelque chose d’universel et d’intemporel, une sorte de vérité absolue. Ces histoires qui deviennent des légendes qu’on raconte à nos enfants. Et puis une identité typique qui, dans le cas de Pagnol, possède un charme fou, celui du sud, de la nature et de l’enfance.

Le cinéma est entré quand dans votre vie ?
Ça m’est venu très tôt. Étrangement d’ailleurs car ma famille n’est pas du tout dans le domaine artistique. Je suis née à Mantes la Jolie, en banlieue parisienne, et j’ai grandi ensuite à la campagne en Haute Loire dans une maison isolée dans la forêt. J’avais beaucoup d’imagination. Je regardais derrière les montagnes au loin, je rêvais d’aventure. Dans les films j’étais très admirative des actrices, Isabelle Adjani, Julianne Moore, Marion Cotillard, Olga Kurylenko, Julia Roberts... Elles avaient le droit de tout vivre, tout inventer. Les actrices me semblaient plus autorisées que les autres. On peut tout leur pardonner.
Dans l’idée de faire ce métier je suis partie aux beaux-arts, c’était le seul endroit un peu artistique à proximité. Mes parents auraient préféré que je fasse autre chose. Ils avaient peur pour moi, j’étais bonne à l’école et ils ne voulaient pas que je gâche mes possibilités pour courir après « le miroir aux alouettes ». Ils avaient raison de me mettre en garde car la vie après à Paris n’a pas été une promenade de santé. J’ai appris à mes dépens que certaines personnes qui essaient de s’approprier l’innocence des autres peuvent en manquer cruellement. Il faut énormément de conviction pour résister et exister dans ce métier quand on n'est pas du sérail.
Au théâtre, vous avez joué les textes de Tchekhov, Schnitzler, Luigi Pirandello ou encore Sonate d'automne de Bergman. Quel rapport entretenez-vous avec les planches et le jeu sur scène ?
C’était un parcours très formateur. J’ai éprouvé une grande libération à pouvoir m’exprimer sur scène. Ces grands auteurs m’ont donné les mots quand ils me manquaient. J’ai utilisé le travail comme exutoire. Quand je suis arrivée à Paris j’étais complètement prise en étau par de puissants moulinets. Au théâtre je retrouvais mon identité parce que j’étais enfin jugée sur mes capacités d’interprétation et non sur une multitude d’autres choses. Les rôles que je jouais étaient souvent très intenses émotionnellement et je me sentais soulagée de pouvoir exprimer de la tristesse, de la colère ou de la révolte sans devoir en avoir honte et être culpabilisée pour mes sentiments.

De l'école des Beaux-Arts à Clermont-Ferrand au cours d'Eva Saint-Paul à l'Atelier Blanche Salant et Paul Weaver, quelles leçons avez-vous retenu ?
Quand on s’engage dans un parcours artistique il y a tout un tas de facteurs dont on pourrait parler longtemps. Les possibilités, la chance, les amitiés et autres, c’est très discutable, tout le monde vous le dira mais ce n'est pas le genre de discours qui fait tourner la machine. Les castings se font d’abord sur les notoriétés et les portes d’entrée pour les nouveaux venus sont très rares. Il y a de fortes résistances.
Il faut une détermination féroce et en même temps protéger sa sensibilité qui est la chose la plus précieuse. Après c’est une question de caractère. Pour ma part je suis faite comme ça. Quand j’ai fait un choix je ne peux pas renoncer avant d’avoir obtenu satisfaction. Je ne peux pas revenir en arrière, oublier. Il y a des moments de doute extrêmes. Mais le jour où la lumière se lève, on sait exactement pourquoi on s’est battu.
Les beaux-arts et les cours de théâtre étaient pour moi des passerelles sur le décor. Il y a tant de gens qui désirent faire ce métier, c’est un peu le radeau de la méduse, il n’y a pas de règle, juste des naufragés ou des miraculés.
Quelles sont vos ambitions artistiques ?
Pouvoir continuer dans le cinéma et avoir la possibilité de jouer des rôles conséquents. Trouver un agent pour passer davantage de castings. Avoir la liberté de faire mes propres choix sans domination ou pression extérieure, obtenir plus de légitimité.
Quels sont vos prochains projets ?
En ce moment j’écris un scénario qui me tient à cœur dans lequel je me laisse un rôle important. On est jamais mieux servi que par soi-même. Je suis très investie dans ce projet et je trouve beaucoup de plaisir dans l’écriture.
Une citation fétiche à me délivrer ?
« Avec de la mémoire on se tire de tout » Alfred de Musset.
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