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Marc-Antoine Coulon : "Les lieux gardent les émotions qu'on y a vécues."

Il a commencé le dessin à l'âge de deux, et sa vocation ne s'est jamais arrêtée. Marc-Antoine Coulon est un artiste et illustrateur de mode immédiatement identifiable, tant ses œuvres et ses dessins modernes et élégants lavent nos yeux. Dans un style glamour, intemporel, ce passionné d'art, de mode, de design et de culture écrit des histoires avec des images. Rencontre.


© Thomas Dang Vu

« Marc-Antoine, dans un reportage télé, vous avez dit qu'il était intéressant d’être nostalgique. Si je vous invite à regarder dans le rétro, que voyez-vous ?

Beaucoup de gens que j’ai aimés et qui me reviennent en ce moment droit au cœur, de manière très puissante. C’est très tentant de regarder dans le rétro, mais il ne faut pas y rester trop longtemps. Dans sa chanson Mon ancien quartier, Annie Cordy chantait que « les souvenirs, c’est comme la crème au beurre, il ne faut pas trop s’étonner si ça fait mal au cœur ». J’aime l’idée d’y faire un bref passage, c’est toujours intéressant de se souvenir de ses racines.


Que représentaient la culture et l’art en général dans votre famille ?

Une sorte de mode de vie, dont personne n’imaginait en faire son métier. Comme un héritage de ces grandes familles du XVIIIe ou XIXe siècle où il était de bon ton d’avoir un passe-temps artistique et d’essayer d’y exceller. On se devait de pratiquer de la musique, de jouer plusieurs instruments, d’apprendre le solfège, il fallait pratiquer un art, visuel si possible. Quand j’ai dit à ma famille que je voulais être artiste, ils sont tous un petit peu tombés des nues, « tu seras artiste le week-end ». Mais en faire son métier n’était pas du tout de l’ordre du réalisable.


Votre grand-père, portraitiste, ne voulait pas que vous preniez de cours. Avec le recul, en quoi cela a pu être bénéfique pour vous ?

J’ai longtemps été très partagé sur cette idée-là, il y a du pour et du contre. J’aurais pu gagner beaucoup de temps techniquement, mais d’un autre côté, tout ce que j’ai appris en autodidacte, je l’ai appris de façon durable. Le voyage a été aussi intéressant que la destination.


© Arnaud Gachy

À l’âge de quatre ans, vous tombez amoureux d’Annie Cordy après l’avoir vue à la télévision. Vous souvenez-vous de cet instant devant l’émission Musique en tête en 1978 ?

J’étais avec mon frère jumeau et notre jeu - extrêmement intellectuel - consistait à courir (aller-retour) le plus vite possible de la porte du salon jusqu’au balcon. Annie Cordy portait une robe interminable qu’elle faisait virevolter au milieu de boys. Elle avait une féminité, un charme, une manière de se mouvoir, tous ses gestes m’ont tout de suite happé. À tel point que je me suis assis devant le poste pour regarder l’émission jusqu’au bout (et j’ai retrouvé le passage longtemps après). À ce moment-là, je décidais qu’elle était la plus belle femme du monde (avec toute la mauvaise foi qu’on peut avoir quand on a quatre ans) et que plus grand, je serais son dessinateur. Je la dessinais partout, tout le temps, c’était devenu une obsession. À l’école maternelle, on a fini par m’interdire de la dessiner, ce n’était pas une interdiction sévère ni méchante, mais une invitation à passer à autre chose.


Quelle a été votre première rencontre ?

À la sortie d’une émission de télévision, je venais d’arriver en région parisienne et c’était impressionnant de la voir, avec le souvenir du coup de foudre que j’avais eu petit. Elle ne me connaissait pas du tout et n’avait aucune raison d’être particulièrement avenante envers moi, pourtant elle l’a été. Jusqu’à ce moment indescriptible où j’ai vu dans l’œil qui frise qu’on n’en resterait pas là.


Que reste-t-il de votre amitié ?

Tant de choses. Depuis son départ, je me suis aperçu, en classant mes affaires, qu’elle m’avait laissé des petits mots de partout. C’est la première à m’avoir donné les clés, à m’avoir donné confiance en tant qu’artiste. Sur mes premiers shooting, Annie se mettait sous ma direction et m’a permis de trouver l’autorité à laquelle je pouvais prétendre en tant qu’artiste.


Vous avez passé une grande partie de votre adolescence au musée d’Orsay, c’est là que vous avez façonné votre perception de l’art, votre approche créative ?

J’ai une véritable tendresse pour les musées, et plus particulièrement pour Orsay où j’y ai fait des stages prolongés à l’étage des impressionnistes. L’adolescence est un âge d’or où l’on s’ouvre au monde et à une certaine culture. Je travaillais beaucoup à la peinture et j’essayais de voir ce que je pouvais grappiller chez Monet ou Cézanne pour me faire la main.


Vous avez encore le temps, aujourd’hui, de cultiver votre curiosité ?

Oui. J’ai mis beaucoup de temps à me déculpabiliser de l’idée qu’il fallait toujours faire (il insiste), mais dans notre métier d’artiste, il y a aussi une grande part d’incubation. On ne peut rien donner si on n’emmagasine pas d’images, d’idées, de manières de peindre, des traces de pinceaux. Tout cela fait partie du processus de création. Il faut remplir la matrice pour pouvoir ensuite l’utiliser. Maintenant, mon emploi du temps ne me permet pas d’aller voir toutes les expositions que je voudrais. Mais je ne désespère pas de mieux m’organiser, de me dégager plus de disponibilités, parce qu’il y a toujours des moyens de se rattraper.


Vos œuvres se définissent par la captation d'émotions, d'odeurs, de parfums ou encore d’une lumière particulière. Comment ces éléments se manifestent-ils dans votre travail, et comment parvenez-vous à les traduire visuellement ?

Je préférerais toujours - quelle que soit la performance artistique - quelque chose de techniquement plus faible mais d’où il se dégage une très belle émotion. En tant qu’artiste, je dois être une véritable éponge. J’essaie d’être un peintre de l’empathie, de tout fixer sur les promesses du regard, de ce qui se joue dans la pupille. Dans un portrait ou un paysage, c’est la part de nostalgie qui m’intéresse le plus. Pour moi, les lieux gardent les émotions qu’on y a vécues. J’y suis très sensible.


Il y a cinq ans, vous publiez chez Flammarion le livre Paris, un recueil de 250 aquarelles disponible sur Internet et dans la boutique d'Inès de la Fressange (rue Grenelle, à Paris)...

Je voulais raconter une histoire sans texte avec un livre volumineux dans lequel je sème des pistes pour que le lecteur puisse se créer ses propres images. À chaque fois que j’ai un blocage d’inspiration, ça ne résiste jamais à une balade dans Paris. Je vais chiner chez les bouquinistes, prendre un thé en terrasse ou bien aller voir des amis. Et j’ai, à de rares exceptions près, toujours la solution quand je rentre chez moi. On a vite fait de personnifier les villes, et je suis persuadé que ces villes comme Paris sont ce qu’on y apporte et qu’elles se définissent par leurs habitants, célèbres ou pas. Dans ce livre, on retrouve un Paris un peu rêvé, idéalisé, mais qui correspond bien à ce que j’attends d’une flânerie dans ses rues.


© Benjamin Decoin

Marc-Antoine, je vous propose un tour d'horizon de vos prochains projets. De quoi pouvez-vous me parler ?

Je prépare mon second livre qui sera radicalement différent du premier et je l’espère très intéressant. Ensuite, j’ai fait l’affiche d’un film pour une production américaine qui sortira au cinéma le mois prochain. Et puis je participe à deux livres, un sur les femmes de la tech et leur rapport à l’entrepreneuriat en comparaison avec les grandes sportives (efforts physiques, entraide et esprit d’équipe). Le deuxième sera en soutien aux femmes afghanes et à la radio Begum qui a été créée pour leur permettre de continuer à s’éduquer malgré les interdictions qui leur sont faites. Enfin, la campagne Coca-Cola de l’été dernier avec Kate Moss est toujours d’actualité. Toutes les cannettes de Coca-Light en Angleterre sont illustrées par mes portraits de Kate Moss.


Pour conclure cet entretien, auriez-vous une citation fétiche à me délivrer ?

Puisqu’on a commencé par la nostalgie, on va finir par la nostalgie avec les mémoires d'Edwige Feuillère Les feux de la mémoire (Albin Michel). Dans son tout dernier chapitre, à la mort de ses parents, elle vient faire le tri avant de vendre la maison, et elle s’aperçoit qu’ils avaient gardé une grande malle avec tout ce qu’elle avait fait : pochette de films, de magazines, de programmes, de pièces de théâtre. Elle a décidé de se débarrasser de tout, et au moment de les brûler, elle est prise d’un regret et a envie de rattraper toutes ces choses qui partent en fumée, mais il est trop tard. Son livre se termine par cette magnifique phrase : « J’y pense, j’y pense souvent, c’est ma récompense et ma punition. »

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