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Pierre Filmon : "Le monde est entré chez moi quand j'étais jeune."

  • Photo du rédacteur: Samuel Massilia
    Samuel Massilia
  • 6 nov.
  • 5 min de lecture

Chaque voyage le nourrit, non seulement comme cinéaste, mais comme homme : à travers les visages croisés, Pierre Filmon retrouve les racines d'une humanité partagée. Son cinéma est rythmé par le réel et ses tournages, de fiction ou de documentaire, sont des lieux d'échange et de confiance. Pierre filme ce qui relie plutôt que ce qui distingue. Dans The Great Departure, sa dernière réalisation, cette quête prend une forme presque spirituelle. L'œuvre de ce cinéphile avérée témoigne d'une conviction simple et puissante : rencontrer l'autre, c'est toujours, d'une manière ou d'une autre, se redécouvrir soi-même. Rencontre.


© Foc Kan
© Foc Kan

« Pierre, vous êtes le réalisateur du film The Great Departure, en salles le mercredi 12 novembre. Comment avez-vous rejoint ce projet ?

En 2016 et en 2021, mes deux longs-métrages précédents - un documentaire et une fiction, CLOSE ENCOUNTERS WITH VILMOS ZSIGMOND puis LONG TIME NO SEE (avec Laëtitia Eïdo et Pierre Rochefort) ont été sélectionné au prestigieux Festival de cinéma IFFI GOA. C'est lors de mon deuxième séjour en Inde que j'ai aussi eu la chance d'être invité au Festival du Rajasthan où j'ai rencontré Sonal Sehgal. Elle m’a proposé de travailler sur ce projet de film et j’ai accepté avec enthousiasme. Depuis quelque temps, j’avais très envie de tourner en Inde et je cherchais le bon projet. L’évidence est apparue grâce à cette rencontre.


Qu’est-ce qui vous a plu à la lecture de son scénario ?

Ce parcours de femme indienne, très personnel, m’a beaucoup touché. Dès le départ, l’idée était que cette femme soit accompagnée dans son voyage par une personne non indienne. Les possibilités étaient ouvertes et c’est finalement l’acteur australien Xavier Samuel qui a merveilleusement incarné ce rôle. Ma porte d’entrée dans cet univers très fort, très intense, a été ce personnage masculin auquel je pouvais m’identifier.


Le tournage a duré 27 jours à Varanasi et dans ses environs. Quelles images vous reviennent ?

Varanasi est une ville magnifique. Elle offre un paysage reconnaissable, avec ses kilomètres de ghâts, ces volées d'escaliers qui descendent jusqu'au Gange. Il y a aussi ce dédale de ruelles dans la vieille ville où l’on aime se perdre, comme les personnages dans le film. Sillonner la ville à pied a été crucial pour les repérages. On ne voulait pas montrer l’Inde qu’on a l’habitude de voir, mais plutôt une Inde calme, sans trop de monde. Ce pays est un continent qui donne l’impression d’être en dehors du temps. C’est un pays dans lequel on peut se ressourcer, une terre mère où l’on vient retrouver les racines de l’humanité. Varanasi est propice à la réflexion et à une sorte de retour sur soi-même.


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Sonal Sehgal m’a confié vous avoir proposé la réalisation de ce film grâce à vos talents de documentariste notamment. Quelles étaient vos intentions visuelles ?

Cette attention aux lieux, aux personnes et à ce qui existe réellement autour de nous est importante dans mon travail, qu’il soit en fiction ou en documentaire. Pour "The Great Departure", tout a été préparé en amont, on n'a rien laissé au hasard. Il y avait une volonté de rendre hommage à un lieu extraordinaire.


Quels acteurs sont Sonal Sehgal et Xavier Samuel ?

Sonal connaît parfaitement son pays et Xavier avait très envie de tourner en Inde. Ils ont servi le propos du film avec tout leur talent et leur engagement. J’ai eu la chance d’être entouré d’une formidable équipe indienne de plus de cinquante personnes, en compagnie de Xavier et de Dominique Colin (le directeur de la photographie). Être accompagné par une équipe bienveillante, créative et attentive, a été la clé de la réussite du tournage. Une voix collective s’est exprimée dans ce film et j’ai eu la chance d'en être le porte-parole, à la mise en scène.


Comment avez-vous repéré et dirigé Sheevan, le jeune garçon ?

On m’avait proposé un certain nombre d’enfants comédiens ayant l’habitude de travailler sur des séries, mais c’était un peu stéréotypé. Je cherchais quelqu’un avec une étincelle de vie qui nous surprendrait. Un casting sauvage a été organisé à Mumbai et ce jeune garçon a été trouvé au milieu d’autres, sur une aire de jeux. Son énergie et sa vitalité ont été une évidence. Ensuite, ça a été un long travail de la production indienne pour convaincre sa famille, leurs employeurs et l’école. Ils nous ont fait confiance et ça a été un bonheur de voir Xavier s'amuser régulièrement avec Sheevan sur le tournage. Ça rejoint la deuxième partie de la question. Je n’aime pas le mot "diriger" des acteurs. Mon rôle est de réussir le casting le plus juste possible et, comme le disent souvent les réalisateurs, 90 % du travail est fait. J’accompagne, je corrige éventuellement des choses, car je suis le premier spectateur, mais je suis plutôt un guide. J’ai aussi essayé de favoriser une atmosphère ludique sur le plateau pour Sheevan, pour que lui aussi puisse jouer vrai. Finalement, tout est dit avec ce mot : le jeu.


Dans le film, j’ai beaucoup aimé ce dialogue : « On a beaucoup à désapprendre sur les autres. » Qu’est-ce que ça signifie pour vous ?

Qu’on a tous une culture, une origine et que souvent, par conformisme ou par paresse, on a des préjugés sur les autres, sur d’autres pays. Que ce soit dans son quartier, son pays ou à l’étranger, il faut se laisser surprendre par la rencontre avec l’humain en l'autre.



À 22 ans, vous traversez la Russie en empruntant le Transsibérien pour arriver en Chine et vous avez filmé votre voyage avec une caméra 16 mm. D’où vient ce goût pour le voyage et la réalisation ?

D’une curiosité de ma famille pour les autres. J’ai grandi à Saumur, une petite ville française au bord de la Loire. Mes parents recevaient chez nous des personnes du monde entier. Ma mère était passionnée de musique, donc il y avait pas mal de musiciens à la maison. C’est une communauté qui voyage beaucoup. J’étais très heureux et très privilégié de découvrir des univers que je ne connaissais qu’au travers des livres, de la radio ou de mon imaginaire. Je me suis beaucoup enrichi grâce à ces rencontres. Très tôt, j’ai donc été attiré par le voyage. J’aime aller vers l’autre qui, finalement, nous ressemble tellement.



Vous voyagez aussi dans des univers cinématographiques, en témoignent vos documentaires sur Maurice Tourneur, Vilmos Zsigmond ou Jerry Schatzberg. C’est quel exercice pour vous ?

Mon premier long-métrage documentaire sur Vilmos Zsigmond était une déclaration d’amour au cinéma et à cette figure exceptionnelle qu’il a été, pas seulement pour moi. Ce sont à chaque fois des explorations liées à ma cinéphilie, déterminante dans mon parcours de cinéaste. J’ai besoin de voir les films des autres, de me nourrir de leur univers, pour vivre mieux.


Avez-vous le souvenir d'une première grande émotion cinématographique ?

C’est drôle car j’ai lu dans votre interview de Sonal que Charlie Chaplin a été déterminant pour elle, comme pour moi. J’ai aussi été marqué par Alfred Hitchcock, pour sa rigueur dans la narration et pour sa capacité à diriger le spectateur, à jouer avec lui. Chez Chaplin, ses éclairs de génie permanent, qui touchent le public de façon universelle, me bouleversent. Dans mes films, je cherche, à ma façon, à tendre à quelque chose d'universel. Quand le public voit l’un de mes films, j’ai envie de le convier à le vivre intensément, en mode immersif.


Pour conclure cet entretien, auriez-vous une citation fétiche à me délivrer ?

Sur le tournage du film que je lui ai consacré, Vilmos Zsigmond m’a dit ce qu'un jour Steven Spielberg lui a dit : « A good director is a good listener » (pour être un bon réalisateur, il faut savoir écouter). J’essaie toujours d’appliquer cette leçon. »

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© 2021 par Samuel Massilia.

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