Parce que le cinéma c'est la vie et qu'il a besoin de monde assis sur ses fauteuils en feutrine rouge, le film Sans Toi mérite toute notre attention. Porté par Thierry Godard et une galerie de personnages inhabituels sur le grand écran, chaque visage est filmé par la douceur et l'œil avisé de la réalisatrice Sophie Guillemin, à la signature d'un film atypique et artisanal.
« Sans Toi sort en salles ce mercredi. Sophie, quelle a été l’impulsion de ce projet ?
S : Il est né d’une forte envie de réaliser, de raconter des histoires. J’ai ce désir depuis le début de ma carrière d’actrice. Petite, je voulais être écrivaine puis photographe. Je suis devenue comédienne totalement par hasard, je n’ai pas fait de cours de théâtre. Je suis tombée sur un casting sauvage et ça m’a tout de suite propulsé avec un premier rôle dans le film L’Ennui, nommé aux Césars. Ça a été un début un peu flamboyant. Dès ce premier tournage, je regardais Cédric Kahn derrière sa caméra et j’ai eu envie de faire ça. La réalisation convoque tout ce que j’aime.
J’ai fait deux courts-métrages et quand on s’est rencontrés avec Thierry, il a vu que je passais énormément de temps à écrire des scénarii. Je faisais pas mal de photos avec un 5D et il m’a proposé de le prendre pour commencer à filmer ensemble. On venait de découvrir Saint-Pétersbourg après un voyage assez romantique pour la Saint-Valentin. On avait été vraiment éblouies par cette ville et ses habitants, d’une douceur incroyable.
On a pris la décision d’emporter la caméra et j’ai commencé à filmer sans connaître l’histoire, il n’y avait pas de scénario de départ, mais une première idée, celle de suivre un homme qui marche et qui poursuit une quête presque obsessionnelle : retrouver un amour perdu. Le mode opératoire était assez étonnant. Chaque jour, on filmait et j’inventais le reste de l’histoire. C’était un tournage très particulier et très libre.
Une expérience enrichissante, Thierry ?
T : Ce n’est jamais évident et en même temps, j’avais déjà pratiqué ça pour du comique où on écrit le jour même. Pour une fiction, je ne l’avais jamais fait. C’était très prenant. Cette expérience offre beaucoup de liberté. La prochaine fois, on prendra peut-être une ou deux personnes en plus, pour l’éclairage et le son (rires). Le mixage était très long.
Ça n’empêche pas en tout cas de recevoir des récompenses au Brésil et en Italie !
S : On est super content. Le film plaît beaucoup et on a des retours très positifs. Pour l’instant, toutes les personnes rencontrées et venues voir le film ont été très émues. Ils apprécient aussi le fait qu’il y ait plein de portes ouvertes. Je préfère que le public réponde lui-même à des questions, plutôt que de lui donner toutes les réponses, c’était mon ambition.
Dans ce film, les gestes et les regards comptent parfois plus que des mots…
S : J’aime beaucoup les films silencieux (rires). Cette maison au bord du lac, c’est un autre espace-temps. Le personnage de Thierry n’a plus personne à qui parler et ça lui permet de pouvoir se recentrer et être face à lui-même. Dans nos vies ultra-connectées, ce n’est parfois pas évident. Pour ce personnage, il lui a fallu ce moment de pause, de suspension géographique et sociale pour se reconnecter à lui.
Thierry, qu’est-ce qui était intéressant à fouiller chez Antoine ?
T : Ce personnage est silencieux, il souffre intérieurement et ne comprend pas trop ce qu’il vit. J’ai aimé cette introspection. Je ne connaissais pas du tout cette trajectoire. Antoine est complètement paumé et en même temps ouvert à tout ce qui peut se passer, comme casser des tuiles, observer ses mômes ou jouer un air de guitare au coin du feu. C’est presque un retour aux sources. Tu sais, j’ai un peu la nostalgie des moments où j’étais ado. À l’époque, on n’avait pas les smartphones et avec mes potes on passait beaucoup de temps sur un banc (rires). On regardait la vie passée, les gens défilaient. On se sentait bien. Dans le film, Antoine remercie cette famille de l’avoir accueillie tel qu’il était. C’était un personnage nouveau pour moi.
Ce film c’est aussi une belle histoire de famille…
S : C’est vrai (rires) ! Tous les acteurs qui figurent au générique sont des amis dans la vie. C’est une chance d’avoir ses connaissances là. C’est plus facile pour leur demander de participer à un projet un peu hors normes.
Ce premier long-métrage est réussi et tout a été minutieux : du jeu d’acteur à l’intrigue cousue au fil des jours, sans oublier la musique d’Hélène Blazy…
S : Merci Samuel ! Hélène a été une rencontre magique pour moi. La musique dans le film est primordiale. Il fallait une musique à la hauteur de toute cette itinérance. J’ai rencontré Hélène complètement par hasard. Ça faisait des mois que je cherchais un compositeur ou une compositrice. J’ai eu du mal à m’enthousiasmer sur ce que j’écoutais. Je trouve que les musiques de films se ressemblent souvent, comme si c’était devenu quelque chose de standard. Quand j’ai écouté le site d’Hélène, ça a été une évidence immédiate. La musique, c’est un art particulier, de l’ordre de l’immédiateté. Sois ça vous touche tout de suite, sois jamais. On s’est rencontrés avec Hélène et la rencontre humaine a été du même ordre. C’est comme si on se connaissait déjà, tout a été facile et fluide. C’est devenu une amie très chère.
Sophie, Thierry, que peut-on souhaiter à votre film ?
T : Qu’il soit vu par le maximum de monde. C’est le but d’un objet cinématographique ou télévisuel. Ce n’est pas un film avec des artifices mais pendant une heure et quart il y a une émotion sincère. On a tous besoin de ça en ce moment.
S : Il faut que le public revienne dans les salles. Tous les acteurs du métier ont un peu peur, on a presque tous l’impression que les gens vont déserter les salles de plus en plus. Les exploitants des salles sont tous très inquiets, ils n’ont pas le retour de leur clientèle comme avant. Nous, on est d’une génération où le cinéma est sacré. Si on perd ça, ce serait une catastrophe. C’est pour ça qu’on espère doublement qu’ils iront voir le film dans les salles. »
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