Il a ouvert des fenêtres qui sont devenues des portes puis des boulevards. Jimmy Jean-Louis voyage de Nollywood au cinéma Français tout en brillant à Hollywood. Chez Jimmy, l'union fait la force, chaque film est un voyage, un moyen d'éduquer le monde. Au-delà d'être un grand artiste, Jimmy Jean-Louis est une belle âme, apportant une lumière sur son pays Haïti, terre de cultures. Rencontre avec Jimmy Jean-Louis, le regard d'un acteur !
« Vous êtes actuellement à l’affiche du film La Convocation sur Netflix. Un long-métrage signé Kunle Afolayan réunissant autour de vous un casting 5 étoiles : Temi Otedola, Joke Silva, Ini Edo. Quels éléments du scénario vous ont convaincus d’incarner le professeur Lucien N’Dyare ?
Déjà c’est le fait de participer à un film panafricain qui puisse oser parler de ce sujet assez tabou, aussi bien au Nigéria que dans d’autres pays du monde. Quand on est un homme de pouvoir, on se permet presque tout. Je suis content du résultat, le film est bien reçu, il y a certes des critiques mais c’est la première fois qu’un film africain peut avoir cette visibilité mondiale.
Long-métrage traduit dans plus de 40 langues, figure dans le top 10 mondial des films sur la plateforme Netflix, que des avantages qu’une sortie au cinéma ne vous aurait pas offert ?
Ça c’est sûr ! Les gens regardent le film et en parlent sur le Net. La Convocation est un film à petit budget et je ne pense pas que dans les salles il aurait pu avoir une visibilité. En France, il y aurait eu deux ou trois salles maximum. Aux Etats-Unis, ça n’aurait peut-être pas sa place, les films étrangers ont du mal à être acceptés. Les streamers ouvrent une porte assez grande à ses petits films.
Sans parler de la fermeture des salles obscures due à la crise sanitaire, pensez-vous que les plateformes en ligne comme Netflix par exemple, avec toutes les qualités qu’elles possèdent, puissent nuire aux salles de cinéma ?
Ça dépend, pour moi la salle de cinéma reste une expérience sociale que l’on partage avec les autres. Je pense que ça ne partira jamais. En Afrique, il n’y a pas trop de salles de cinéma, donc ils n’ont pas accès à des films comme La Convocation. Aujourd’hui, chaque Africain à au moins un téléphone, un accès à Internet et peut se permettre de voir tous les films qu’il veut. Ça ouvre pratiquement tout un marché, les distributeurs commencent à le sentir. Tout ça donne une chance à des talents africains de s’exprimer.
Ce film nous montre sous un autre angle l’Afrique avec le brassage des langues, les grandes universités. On peut indéniablement dire que La Convocation pointe du doigt la place forte qu’occupe la culture en Afrique ?
Le film a servi pour beaucoup de choses. Ça nous apprend déjà que l’Afrique n’est pas un pays, une langue ou une culture, c’est beaucoup plus que ça. On a pu montrer des beaux endroits, des belles plages, c’est très coloré avec une touche très africaine. À travers les films, on peut aussi éduquer le monde qui a besoin d’une éducation concernant l’Afrique.
Dans une des scènes du film, vous faites un clin d'œil à votre pays, Haïti, en citant le nom de Toussaint Louverture, précurseur de l’indépendance haïtienne, que vous avez incarné à l’écran.
Tout à fait, c'est très important pour moi ! Il n’était pas prévu que je le dise, mais connaissant mon histoire, je sais pertinemment que Mandela, par exemple, s’est basé sur le succès de Toussaint Louverture pour s’inspirer. Si on met le nom de Mandela, automatiquement on met aussi celui de Toussaint Louverture. C’est un petit clin d’œil à Haïti. Un pays qui est tout le temps représenté par des lumières plutôt sombres. Je fais tout le temps l’effort de mettre une lumière plus intéressante sur Haïti et aussi rappeler ce que ce pays a été.
Vous dirigez votre carrière d’une main de maître, faisant voyager votre jeu d’acteur à travers les quatre coins de la planète. Pour vous, chaque film est un voyage ?
Complètement ! Pour moi, la vie ce n’est qu’une expérience. Plus elle est riche, plus la vie devient intéressante. J’arrive à faire un métier qui me fait voyager, connaître des choses nouvelles tous les mois, j’en profite un max. J’aurais pu me contenter, en restant ici à Los Angeles, de faire des films soi-disant américains.
Il y a un pont à faire entre l’Afrique et les Etats-Unis, entre le black américain et l’Africain, entre Hollywood et Nollywood. Ça passe aussi par l’Europe. J’ai la culture européenne après être passé par la France, l’Angleterre ou encore l’Espagne. Je veux mélanger tout ça pour rapprocher les gens et montrer que nous sommes avant tout des humains.
Vous avez multiplié les films aux Etats-Unis, quels sont les obstacles que vous avez dû surpasser pour réussir à Hollywood ?
Ah c’est une galère ici (rires). Les gens pensent que ceux qui ont du succès ont eu de la chance, qu’ils étaient au bon endroit au bon moment, mais c’est une vraie galère ! Ici, j’ai vu des Français débarqués et la grande majorité sont repartis. Il faut s’accrocher. Quand je suis venu à Los Angeles, j’étais déjà mûr grâce à mon expérience de vie. J’avais vécu en France, en Espagne, en Italie, en Afrique du Sud, j’y ai rencontré des gens très importants tels que Nelson Mandela qui m’ont donné une certaine force mentale et beaucoup de courage.
En plus de ça, je viens d'Haïti, un pays qui, malheureusement, économiquement est très pauvre. Je sais ce qu’est la souffrance. C’est pour ça qu’en arrivant ici, j’étais super blindé. Petit à petit, j’ai pu forcer le terrain, je savais que j’avais quelque chose d’autre à proposer, il fallait juste trouver le moyen pour le faire. Il fallait être patient, ce n’est pas une course mais un marathon. J’ai pu ouvrir quelques fenêtres qui sont devenues des portes puis des boulevards.
Avant le métier d’acteur, vous avez été danseur puis mannequin. Cette fibre artistique est finalement innée chez vous, mais à quel moment vous êtes-vous rendu compte que vous aviez ce potentiel artistique à exploiter ?
Je ne m’en suis jamais rendu compte (rires). Au début, j’ai connu la grosse galère parisienne, sans école, pas de travail. C’était boîte de nuit tous les soirs en côtoyant des têtes d’affiche, on commence à faire connaissance avec ce petit monde, et là on voit Madonna, Prince, George Michael, on est éblouis et ça suscite un peu d’intérêt. Je suis rentré là-dedans petit à petit, il fallait que je sorte de ma galère, le soir je devais trouver un endroit pour dormir. Quand on passe un casting pour une pub, on réalise qu’il y a de la tune à se faire (rires). J’ai avancé de galère en galère.
J’étais tellement frustré à Paris que je me suis cassé pour me retrouver à Barcelone sans connaître qui que ce soit. Par chance ou par hasard, il y avait une audition pour un nouveau performer dans un théâtre. C’était le vrai début, ça m'a permis de croire que je pouvais exister dans ce monde artistique. Il faut avouer que j’ai aussi la bougeotte, deux ans plus tard je m’en allais (rires). Ce sont les circonstances de la vie qui ont fait que, petit à petit, j’ai pu comprendre que j’avais quelque chose à amener.
Au cinéma, vous avez tourné avec de grands noms tels que Robert De Niro, Harrison Ford, Jane Fonda, et pourtant celui qui vous donne des étoiles dans les yeux est Sidney Poitier. Qu’est-ce qui vous fascine chez celui qui a reçu en 64 l’Oscar du meilleur acteur pour Le Lys des Champs ?
Exact ! C’est le fait qu’en étant un jeune acteur black, tu puisses être inspiré par quelqu’un, tout simplement. Avoir un exemple, ça te permet de continuer à rêver. Sans exemple, on se dit que c’est quasi-impossible. Sidney vient des îles comme moi, ça m’a permis de pousser et de me dire qu’éventuellement, comme lui, je pourrais un jour jouer dans deux ou trois films. Jusqu’à présent, je remercie sa présence et ce qu’il a pu partager dans le monde du cinéma.
Avec la série Heroes, vous allez connaître une notoriété mondiale, dont vous profitez pour mettre en lumière, de façon positive, Haïti, qui est une terre de culture. Je pense à Jacmel, cette petite ville d’artiste par exemple. Pouvez-vous me parler des activités artistiques et culturelles que vous développez dans votre pays ?
Quand on représente un personnage, qui s’appelle l’Haïtien, dans une série mondialement connue, on est obligé de faire un effort. J’ai pris l’initiative de participer à un renouveau d'Haïti. Très tôt, j’ai créé la fondation Hollywood Unites for Haïti avec l’aide de mes collègues et acteurs de la série.
À l’époque de Heroes, on ne s’en rend pas compte mais on est invité de partout, on croise tout le monde, c’est assez magique (rires). En plus de ça je jouais au foot, au Hollywood United Club, un club formé d’artistes et d’anciens pros comme Franck Leboeuf. On a fait des voyages dans d’autres pays pour faire des matchs d’exhibition. Je me suis aussi associé avec Artists For Peace and Justice, créé par Paul Haggis avec des gens célèbres tels que Demi Moore, Suzanne Sarandon, Maria Bello, et annuellement on allait en Haïti.
Je me retrouvais dans une camionnette avec une dizaine d’artistes d’Hollywood. En Haïti, les gens ne les connaissaient pas forcément. On essayait de mettre des choses en place, des pôles de cinéma ont été créés ainsi qu’une école de musique qui a formé beaucoup de talents haïtiens.
Je me suis aussi associé avec mon ami David Luu dans le domaine de la santé. On a été les premiers à faire des interventions cardiaques à cœur ouvert. La notoriété m’a permis de m’associer avec pas mal de gens pour essayer de faire des choses. Je dis « essayer » car malheureusement le résultat n’est pas génial. Jusqu’à présent, on réalise qu’on fait beaucoup mais ce n’est pas suffisant.
Certains artistes restent dans leur confort, vous avez au moins le mérite d’être actif. Je ne savais pas que vous étiez un amoureux du ballon rond, vous êtes gâtés avec la MLS…
Les Américains ont forcé le monde entier à dire « soccer » (rires). Ils commencent à s’y faire. Dans la jeunesse, la majorité des filles font du football. Maintenant, avec le pouvoir de l’argent, ils arrivent aussi à former de très bons joueurs tels que Pulisic et McKennie à la Juventus. Il faut leur donner quelques années pour qu’il soit au niveau supérieur.
Récemment, on vous a senti très touché par les propos racistes tenus par un 4ème arbitre à l’encontre de Pierre-Achille Webo…
Je suis resté bouche bée devant ma télé. J’ai applaudi Demba Ba. Malheureusement, on sait que ce genre de choses se passe presque régulièrement, sauf que là on a enfin vu un joueur osé parler à l’arbitre sans la peur d’être suspendu. Les joueurs étaient prêts à retourner sur le terrain, mais Demba Ba a su tenir et garder tout le monde. Il faut que ça serve d’exemple afin que plus personne ne prononce ces mots, ce n’est pas normal. Ce geste est un grand pas vers une certaine égalité (qu’il n’y aura peut-être jamais dans le monde).
Racontez-moi le jour où un club de Ligue 1 vous a supervisé…
Je vois que tu es supporter de l’OM, je suis désolé pour toi avec la Ligue des Champions (rires). À la grande époque des Verts, je soutenais Saint-Etienne. Maintenant, je ne prends pas parti pour une équipe en particulier. Quand j’étais très jeune, je jouais à Eaubonne, un scout du PSG faisait le tour du 95 pour repérer les jeunes joueurs. Je me rappelle avoir été un des deux jeunes repérés pour faire un stage avec le Paris Saint-Germain. Je ne l’ai jamais fait, peut-être parce qu’on ne m’a pas encouragé à le faire. Avec un peu de recul, je me dis qu’on vient me chercher et je n’y vais pas…
Le monde du football est tout aussi complexe que le cinéma. D’ailleurs, sur le grand écran, vous êtes à l’affiche du film d'Apolline Traoré Desrances. Un premier rôle qui vous offre l'African Movie Award du meilleur acteur...
C’est un film très fort qui retrace les problèmes en Côte d’Ivoire dans les années 2010-2011, quand les deux présidents se prenaient la tête. On est autour d’une famille, d’un père et de la position de sa fille dans la société. Le papa attache plus d’importance à avoir un garçon et la fille essaie de lui démontrer qu’elle a autant de valeur qu’un garçon. C’est un film dramatique, très dur, qui parle de choses très intimes mais aussi très larges.
Mon personnage quitte les problèmes en Haïti pour aller se réfugier dans un pays étranger. Arrivé là-bas, il se retrouve avec les mêmes soucis qu’il a quittés. Avec Desrances, on essaie de comprendre l’importance de la femme dans cette société. Une question que l’on pourrait éventuellement se poser à la fin du film : pourquoi est-ce que l’enfant doit porter le nom du père et pas celui de la maman ?
Ce film peut venir en France puisque c’est Orange qui le distribue. Il a été nominé dix fois à l’African Movie Academy Awards, l’équivalent des Oscars aux Etats-Unis et des Césars en France. Je suis très content de ce genre de positionnement.
Une citation fétiche à me délivrer ?
« L’union fait la force ».
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