Il aime composer avec les personnages et se sent privilégié de faire le métier d'acteur, « à chaque fois qu'on me confie un rôle, j'ai une part d'excitation et de peur qui cohabite en proportion égale. » Une passion qui a germé chez Pierre-Yves Cardinal dès l'enfance, avant de quitter les calculs scientifiques pour le lâcher-prise de la comédie. Rencontre.
« Pierre-Yves, on te retrouve aujourd'hui dans le nouveau film de Monia Chokri Simple comme Sylvain. Quelle présentation ferais-tu de Sylvain, ton personnage ?
C’est un gars intelligent et sincère. Il n’a pas eu la chance d’avoir une éducation très élaborée mais il est curieux intellectuellement. Quand il rencontre Sophia (Magalie Lépine-Blondeau), une femme extraordinaire, il voit que sa curiosité peut lui ouvrir beaucoup d’horizons, tout en gardant son côté terre à terre. Sylvain ne se remet pas en question quotidiennement, il est assez confiant dans la vie. Sophia va lui permettre de se dépasser et ça va être précieux pour lui. Ensuite, vivre un amour avec des classes sociales différentes va impliquer certains challenges qu’ils vont découvrir rapidement.
Quelle a été ta première impression à la lecture du scénario ?
C’est toujours difficile de détecter si un scénario va faire un bon ou un excellent film. Il y a tellement de facteurs ! Dans le manuscrit de Monia Chokri (également réalisatrice), je suis immédiatement tombé en amour avec l'histoire et j’avais cette intuition que ça fonctionnerait, des éléments comme la richesse des dialogues et cette façon qu’elle a de placer les personnages dans des situations qui vont caractériser leurs comportements et faire ressortir du comique par exemple. Après, c’est toujours au public de décider. Jusqu’à présent, nous avons eu de bonnes réactions à Cannes et au Québec. Je suis curieux de voir la réaction du public français !
Quelle réalisatrice est Monia Chokri ?
Comme elle le dit dans son discours au dernier festival de Cannes, c’est important pour elle de nous mettre dans une situation où tous les membres de l'équipe sont heureux, qu’on se sente à l’aise pour s’exprimer artistiquement et donner le meilleur de nos capacités. C’est précieux d’avoir cet environnement sain pour les différents intervenants, des techniciens aux acteurs. Dans sa direction, Monia est hyper créative, spontanée, précise, inspirante. Elle travaille dans la positivité et elle prend un grand soin de ses acteurs et actrices.
Quelle partenaire de jeu a été Magalie Lépine Blondeau ?
Magalie est très investie dans son travail. On a tout de suite voulu rendre justice au scénario. Notre duo s’est formé naturellement. Magalie est généreuse. Parfois, j’avais des doutes et je lui demandais son avis, elle était toujours présente pour me partager ses réflexions. C’est une actrice incroyable et inspirante. Souvent, la seule écoute de son partenaire est la clé. On avait des scènes très intimes à jouer et il n’y a jamais eu d’ambiguïté. C’était très agréable de jouer avec Magalie.
Pierre-Yves, le grand public t’a découvert avec le film Tom à la ferme de Xavier Dolan. D’où te vient ce désir d’être comédien ?
C’est enfoui en moi depuis mon plus jeune âge. Je me souviens vaguement d’avoir joué un soleil à l’école primaire (rire). J’ai retrouvé des photos, je devais avoir quatre ou cinq ans ! Et puis ça s’est développé avec le temps. J’ai étudié les sciences du Secondaire à l’université. Si ça me plaisait, j’avais ce désir de faire un travail plus social, artistique et créatif. Finalement, j’ai abouti avec un bac en communication, spécialisé en cinéma. Ça m’a permis de m’intéresser à la réalisation et la direction d’acteurs. Le déclic est vraiment venu avec l’école de théâtre.
Quelles images te reviennent de l’école Sainte-Thérèse au Canada ?
L’école de théâtre, c’est un moment extrêmement difficile dans la vie d’un acteur, d’une actrice. Je ne connais personne qui l’ait eu facile en école de théâtre. La première année, on était trente élèves et à la fin de l’année, ils gardaient seulement douze personnes. Quand on débute, on est confronté à ses limites et on ne sait pas comment les démêler. Catherine Bégin disait : « Mes bébés, après tout ce temps je ne sais toujours pas comment les Dieux descendent ! » (Rires) Il y a une part de mystère importante dans ce métier, de maîtrise et de contrôle aussi. Il n’y a rien de plus beau qu’un défi qui est énorme. Ça te fait évoluer à une vitesse incroyable. J’ai gagné en maturité pendant quatre ans. Pour moi, une grande partie du métier est d’être capable de prendre les mains qu’on nous tend. Si on n’est pas prêt, l’opportunité ne repassera pas. En sortant de l’école, j’ai dû désapprendre mes réflexes « scolaires » pour être un artiste plus complet. Il y a des acteurs qui, sans être allé à l’école, s’en sortent très bien. Pour ça, je pense qu’il faut une curiosité très forte et énormément de talent.
Tu as grandi avec un père mathématicien de profession et une maman directrice d’école. Quelle place occupait la culture à la maison ?
Ma mère avait une passion pour Saint-Exupéry. Mais je ne peux pas dire que la culture faisait autant partie de notre quotidien. Mon père m’a initié au sport, je n’étais pas très talentueux et petit à petit, j’ai senti cette fibre-là grandir en moi. La culture m’est venue sur le tard, en discutant avec des amis et en allant au cinéma avec eux. Et puis à l’université j’ai été « confronté » à un cinéma beaucoup plus recherché : Bergman, Hitchcock. J’ai réalisé à cette période-là que je ne connaissais rien, mis à part ces bons vieux films américains qu’on regardait à la maison. Le langage cinématographique me passionne. Pour le film Simple comme Sylvain, Robert Altman était le mentor de Monia Chokri en ce qui a trait à l'esthétique. Sur le tournage, on avait une équipe technique hors pair, ce qui nous a permis de faire des plans-séquences challengeant. Comme un où la caméra est à la recherche du sujet avec un cadre un peu fuyant. Ce genre de quête me motive énormément.
Est-ce que comme le personnage de Sylvain tu as fait des rencontres qui t’ont amené vers d’autres horizons ?
La liste est longue. A l’école de théâtre, notre professeure Catherine Bégin, une grande tragédienne décédée il y a quelques années, nous a transmis sa passion pour la langue française, la grammaire et la diction. Je me suis rendu compte du niveau d’érudition qu’on pouvait avoir dans ce métier. La profondeur de sa culture générale a été mon premier choc alors que je sortais d’un bac en communication, spécialisation cinéma. Je ne me sentais pas le plus dépourvu de la gamme mais avec Catherine Bégin, j’ai compris que j’avais beaucoup de croûte à manger. Ensuite, j’ai vécu un deuxième choc en travaillant avec Xavier Dolan sur Tom à la ferme. Xavier est une machine, une bête créative fascinante. J’ai dix ans de plus que lui et au moment du tournage, il avait 25 ans. En le regardant réaliser son film, je me suis demandé ce que je faisais de ma vie (rire).
Tu as ensuite beaucoup joué de textes classiques au théâtre. Quel est ton rapport avec les planches ?
L’année dernière, j’ai joué dans la pièce Quills de Robert Lepage. C’est la première fois de ma vie que je me suis senti aussi libre sur les planches, en maîtrise de mon élément. Je me donnais la permission d’oublier le texte et de me laisser aller. Et puis cette communion avec le public est une sensation spéciale. Pendant un moment, je n’ai pas couru après les projets au théâtre parce que ça demande beaucoup de disponibilité et comme j’ai deux filles de dix et quatorze ans, je veux du temps pour ma famille. Je caresse le rêve de faire plus de théâtre, tout en gardant un équilibre avec le cinéma pour lequel j’ai un vrai faible. Au Québec, on passe d’un médium à un autre. Je fais de la télé, du doublage, de la narration, des livres audio. Cela permet aussi de développer certains aspects de mon jeu. Au micro, par exemple, je travaille ma voix, les ruptures de ton, les nuances. C’est très difficile chez nous de gagner sa vie avec un seul art.
Comment te revois-tu à tes débuts dans la série Kif-Kif et les films Polytechnique de Denis Villeneuve et Dédé à travers les brumes de Jean-Philippe Duval ?
Kif-Kif était une série télé jeunesse, le rythme de travail était soutenu. A l'école de théâtre, on fait peu de travail devant la caméra, donc je ne me suis pas vraiment senti à la hauteur. Au cinéma on a plus de temps. Sur Polytechnique, on a fait un double shooter, une expression pour dire qu’on tournait en français puis en anglais. C’était challengeant. Denis est tellement accueillant, chaleureux et rassurant que n’importe qui doit se sentir à l’aise avec lui. Pour Dédé à travers les brumes, une scène a été coupée au montage, et c’est la mienne (rires). Je n’étais pas capable de rendre ce que voulait Jean-Philippe. Il y a quelque chose d’assez incroyable quand on tourne, c’est que peu importe ce qu’on a fabulé dans notre tête, ce ne sera pas la réalité sur le plateau : un décor ou un partenaire qui ne t’envoie pas les lignes comme tu le pensais. Quand tu commences dans le métier, c’est déstabilisant. Je m’accrochais un peu trop à ce que j’avais préparé. Parfois, je trouvais une scène moins bien parce que je me sentais maladroit, et à l’écran elle était plus intéressante que celle où je me sentais dans le contrôle de mes moyens. Il faut donner plus de part au lâcher prise et aux imprévus.
Les réalisateurs aiment quand un « accident », un moment de vérité se produit…
Complètement ! Il y a quelque chose de trop rassurant dans la routine. Sur Tom à la ferme, il y a une scène où Sarah (Evelyne Brochu) doit gifler mon personnage (Francis). Dans ce genre de scène, on anticipe assez vite le geste en fermant les yeux juste avant l’impact, ce qui est naturel. Mais à chaque fois, à la fin de ma réplique, je n’arrivais plus à anticiper sa gifle. Ça me mettait sur les nerfs et Xavier est allé la voir pour lui dire de me la donner à un autre mot. On a refait la prise et j’étais tellement surpris qu’on l'a gardé.
Pour conclure cet entretien, aurais-tu une citation fétiche à me délivrer ?
Dans l’émission Viens voir les comédiens, le journaliste a demandé à un vieux comédien français s’il avait des regrets. Il a répondu : « Non, je n’ai pas vraiment de regrets. Ah si, j’en ai un ! J’ai eu tellement de mains tendues que je n’ai pas prises. » Cette phrase m’est restée. Je me suis constamment interrogé dessus : il faut que je donne la permission aux autres d’être juge de mon potentiel. Si on me tend la main, je dois la prendre. »
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