La résilience est son fil rouge, « c’est ce qui m’émeut et me motive le plus chez l’humain. » Sonia Rolland démarre l'année avec le récit indirect de son incroyable parcours, un modèle de réussite. Capable de tenir la pression et l'endurance demandées par un tournage, Sonia Rolland signe un film où le rêve, le dépassement de soi et le sens de la famille font fusion. Avec Sonia, personne n'est mis de côté, les supporting actors - comme elle aime les appeler - subliment son héroïne. Rencontre avec une comédienne et réalisatrice au goût prononcé pour le travail, la bienveillance et le partage.
« Sonia, votre film Un destin inattendu est diffusé ce soir à 21h10 sur France 2. Un projet que vous portez depuis six ans. Quelle a été l'étincelle de départ ?
J’avais l’impression qu’à chaque fois que je parlais de mon histoire, on s’étonnait de connaître mon background. Mon parcours peut plaire, il a un côté un peu féerique. L’écriture de mon premier court-métrage, Une vie ordinaire, m’a donné envie d’aller plus loin. Un destin inattendu en est la suite avec le destin d’une gamine issue d’un milieu ouvrier qui va se lancer dans l’aventure Miss France avec le soutien de son entourage.
Comment avez-vous réussi à prendre de la distance avec votre récit personnel pour tendre vers une fiction plus universelle ?
Il m’a fallu la consultation de deux scénaristes. Emmanuel Poulain-Arnaud est venu en premier, avant de devenir réalisateur et de ne plus avoir le temps de suivre le projet. J’ai ensuite fait la rencontre de Fadette Drouard, qui fait aussi de la consultation sur le scénario. Ils m’ont apporté la distance dont j’avais besoin pour me détacher de mon histoire personnelle, et en faire un objet où chacun peut s’y retrouver. Tout ce qui entoure la trajectoire de Nadia (incarnée par Esther Rollande) est fictif, mais est nourri d’histoires que m'ont racontées plusieurs Miss. J’aurais pu construire une histoire avec un autre argument que celui de Miss France. Mais au fond, puisqu’il y a autant de fantasmes sur ce concours, qu’on ne connaît pas les coulisses et ce qui se joue au sein de cette élection, autant la raconter. Ce n’est pas une façon de désacraliser l’objet, au contraire, c’est de souligner l’aventure humaine de ces jeunes femmes qui viennent de tous horizons, certaines ont des buts bien précis, d’autres veulent se challenger. Ce sont des femmes dans toute leur pluralité.
Comment s'est articulé votre travail d'écriture ?
Tout est parti d’un synopsis, d’un traitement que j’avais écrit. Emmanuel ne s’y connaissait pas dans l’univers des Miss, son regard neuf sur le sujet a apporté une curiosité. Et puis le côté irrévérencieux de Fadette m’a permis de construire des personnages haut en couleur et de développer davantage toutes les aspérités de Nadia. La collaboration est toujours utile sur un scénario qui est en lien avec votre propre histoire, un équilibre se crée et permet d’y mettre la bonne distance. Je suis très heureuse du résultat.
Votre parcours et ce film soulignent, une nouvelle fois, la force du collectif…
J’estime que si on veut aller loin, il faut bien s’entourer. Et ne pas avoir peur du facteur temps. Il m’a fallu six ans de bataille pour faire ce film qui était, au départ, destiné au cinéma. Le voir exister à la télévision est une grande satisfaction, le message et les valeurs que j’essaie de transmettre vont s’inviter dans le foyer des téléspectateurs ce soir.
En tant que réalisatrice, quel regard posez-vous sur vos acteurs ?
Ma chance, c’est mon expérience des plateaux de tournage qui m'a permis d’avoir le bon vocabulaire pour pouvoir m’adresser aux comédiens et aux techniciens, aussi. Entre les prises, je regardais le travail des techniciens autour de moi, je leur posais des questions. Un jour, un chef opérateur m’a dit : « toi, mon petit doigt me dit que tu vas finir réalisatrice. » C’était un désir un peu secret. Je me donnais toutes les chances, déjà, de bien m’inscrire dans le paysage audiovisuel en tant qu’actrice, ce qui n’était pas forcément évident en sortant de Miss France.
Sur Un destin inattendu, la préparation en amont a été essentielle…
Oui. Karine Nuris, actrice et coach, m’a secondé et a permis aux jeunes comédiennes - jouant les autres Miss dans le film - de trouver la couleur de leur personnage. Et puis une autre coach, de danse, est intervenue pour toutes les chorégraphies et leur apprendre à se mouvoir, à marcher comme une Miss. Mother Production a tout de suite été emballé par l’idée que je demande une préparation en amont, j’ai presque demandé autant de semaines de préparation que de semaines de tournage ! (Rire) On avait 21 jours pour faire une fiction de 90 minutes, ce qui n’était rien au vu de la masse de travail qui nous attendait. Du début à la fin, personne n’a regardé la montre, tout le monde s’est investi corps et âme pour fabriquer ce film. Je les remercie encore aujourd’hui. Sans cette préparation et cet investissement, on n’aurait jamais réussi le pari.
Vous faites un clin d’œil à Geneviève de Fontenay dans votre film. Parmi vos souvenirs heureux avec elle, est-ce qu’il y en aurait un que vous aimeriez partager ?
Il y en a tellement. Sa fin de vie est triste, c’était une femme isolée, loin de ce qui était sa jouvence, c’est-à-dire cette jeunesse qui alimentait, constamment, le regard qu’elle posait sur la société. J’ai gardé un lien très tendre sur Geneviève, même si elle a eu des sorties de route médiatique, j’étais incapable de la condamner. Je suis reconnaissante de ce qu’elle a fait pour moi, à une époque où il y avait du racisme avéré quand je suis devenue Miss France. Geneviève était sous le choc quand elle ouvrait les lettres remplies d’insultes, il était inadmissible pour elle que les « fans » s’expriment avec autant de haine à mon égard. Je lui répondais qu’on n’allait pas offrir une tribune à ces personnes-là, parce qu’à l’époque, ils n’existaient pas comme aujourd’hui avec la fachosphère sur les réseaux sociaux. Quand elle avait un micro tendu, elle n’hésitait pas à prendre ma défense en disant que j’étais une Miss multiculturelle. J’étais devenue l’étendard d’un discours politique (rire). Mon élection a été prise comme l’exemple d’une France ouverte à la diversité et aux notions d’inclusivités.
Les parents de Nadia (Thierry Godard et Mata Gabin) sont des soutiens qui lui permettent de se surélever, de croire en son rêve. Sonia, quels rôles ont joué vos parents dans votre fibre artistique ?
Ma mère était passionnée par les livres, mon père aussi puisqu’en tant qu’imprimeur, il les fabriquait. Maman tenait un café-théâtre au Centre Culturelle français de Bujumbura, au Rwanda. Elle m’avait inscrite à des petits cours, j’étais une enfant qu’ils appelaient « turbulente », pour ne pas dire hyperactive. On me canalisait par le sport, par le basket. Et puis les choses se sont arrêtées de manière assez radicale en arrivant en France. On changeait de statut social, mes parents avaient leurs entreprises en Afrique, ils vivaient comme des bourgeois, et se sont vus vivre le déclassement social. Ce n’était plus vraiment dans leur priorité de m’offrir l’accès au théâtre ou aux arts en général. Ma mère m’a tout de même inscrite au basket, j’avais de fortes chances de me retrouver en régionale, j’étais passionnée et ça me paraissait plus accessible que le cinéma ou le théâtre.
On était loin de tout. Le rêve de comédienne devenait de plus en plus flou. Quand on m’a proposé de me présenter à la présélection de Miss Bourgogne, ma mère était complètement pétrifiée. Nous étions la seule famille d’africains dans une ville de 5 000 habitants, c’était difficile pour elle de se dire que je m’y ferais une place. Si mon père n’avait pas été aussi enthousiaste, je ne suis pas certaine que j’y serai allée. Adolescente, je voulais découvrir Paris, je rêvais grand, mais tout ce qui faisait mon environnement m’empêchait de pouvoir y penser. En réalisant Un destin inattendu, je pense à ces nombreux gamins, à ces nombreuses gamines qui s’empêchent de vivre leur rêve, parce qu’ils se sont auto-assignés dans une place qui n’est pas la leur.
Vous évoquez aussi la question de la peur chez la maman…
Est-ce que nous, parents, ne sommes pas la première barrière à nos enfants ? Il existe des barrières psychologiques qui se créent quand on projette nos peurs en eux. J’essaie, tant bien que mal, d’ouvrir le champ des possibles à mes filles, pour qu’elles puissent se définir, se réaliser. Je m’attache à des valeurs que je tente de leur enseigner, je suis certaine que ça fera des adultes réfléchis, mais pour le moment, comme toutes les mamans, je ne suis pas épargnée par l’adolescence (rire).
Comment les parcours de vos parents ont-ils influencé votre propre vision de la vie ?
Ma mère a subi la ségrégation au Rwanda, elle faisait partie des 1% de Tutsi qui ont eu l’accès aux études, grâce à mon grand-père qui avait pu financer - via l’entreprise pour laquelle il travaillait - sa bourse d’études. Jeune universitaire, elle a rencontré mon père, un homme féministe d’avant-garde. Ils formaient un couple singulier, moderne à une époque qui n’était ni favorable à la diversité, ni à l’émancipation des femmes au Rwanda. Ma mère s’était promise qu’on ne lui empêcherait jamais d’être libre. Mon père a fait de moi une femme très indépendante. Je suis la parfaite conjugaison de mes parents : le risque et la raison.
J’étais une teigne à l’adolescence, une fille énervée, très en colère contre l’injustice que vivaient mes parents. Mon père, chef d’entreprise pendant vingt ans, se retrouvait manutentionnaire. Ma mère, chef d’entreprise et indépendante, devenait chef de rayon dans un supermarché, malgré sa multitude de diplômes. Je me demandais pourquoi on vivait cette vie-là. J’aurais pu rester figée dans mes colères stériles, mais finalement, grâce à leur éducation, je me suis sauvée. Ils m’ont appris qu’un ailleurs était possible. C’est courageux de vouloir sortir de sa condition et d’emprunter le chemin de l’ambition. Je pousse les jeunes à croire en eux.
Quels sont vos prochains projets ?
Le tournage de la cinquième saison de Tropiques Criminels s’est terminé en juillet et sera diffusé prochainement sur France 2. Ensuite, j’ai tourné dans le film de Jonas D’Adesky, Entre deux, au côté de Jean-Hugues Anglade qui joue mon papa. Quelle expérience ! J’incarne une basketteuse professionnelle qui, sur la proposition de rejoindre l’équipe nationale du Rwanda, va faire le voyage pour régler ses comptes avec son père qu’elle n’a pas revu depuis quinze ans. Ce film va compter dans mon parcours de comédienne. Enfin, en tant que réalisatrice, j’ai un projet de documentaire sur le métissage. Et peut-être la suite d’Un destin inattendu ? Comment on garde les pieds sur terre quand on a la tête dans les étoiles ? C’est le thème de Miss France pour moi.
Pour conclure cet entretien, auriez-vous une citation fétiche à me délivrer ?
Ma mère me disait souvent : « Quand tu montes l’escalier, dis toujours bonjour, parce que le jour où tu les redescends, ce sont les mêmes que tu croiseras. » Il faut garder une vraie part d’humilité dans son travail, mais également ne pas se laisser marcher dessus parce qu’on est humble. J’aime bien reconstruire les citations. Rien ne vaut le fait de tenter l'impossible, c’est si grisant de se lancer dans l'aventure ! »
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